Le monde littéraire est ainsi fait qu’il exige parfois des écrivains qu’ils soient aussi des personnages. Et parfois, les deuxièmes prennent le pas sur les premiers. Il y a ainsi une "tradition" du taulard poète. Ces temps-ci (c’est-à-dire depuis la parution, chez Stock déjà, en 2005, de Bleu de chauffe), c’est Nan Aurousseau qui occupe cet "emploi". Il a, il est vrai, pour cela tout les gages de créance nécessaires, tant biographiques que stylistiques. C’est ce qu’il rappelle dans La ballade du mauvais garçon, enlevé et réussi, qui se présente à la fois comme un récit d’initiation et un solde de tout compte…
Il y eut un temps avant le temps des livres pour Nan Aurousseau. Il y eut celui, autour de 1968, des petits boulots, de la jeunesse, des mauvaises rencontres, des amours de passage, de la débrouille et de la combine, des braquages de PMU et de succursales bancaires. Il y eut aussi un temps, durant les années 1975-1980, des premiers livres, des scénarios de quelques films. Aurousseau passe de l’un à l’autre avec une infinie fluidité, accordant à chacun la même scrupuleuse attention. Nul n’en sort d’ailleurs nécessairement grandi. Il faut voir sous sa plume Claude Berri s’inquiéter pour son argenterie ou Jean-Pierre Mocky appeler la maréchaussée pour se plaindre des orgasmes trop bruyants de ses voisins, pour comprendre combien cette supposée "parenthèse enchantée" ne l’était peut-être pas pour tout le monde. Du monde justement, ce livre est une traversée de l’un à l’autre en même temps que celle des apparences. Nan Aurousseau y laisse joliment filer sa plume comme on laisse, pour la beauté du geste, filer un voleur. C’est comme ça qu’on l’aime et qu’on le lit. Olivier Mony