Palmarès Livres Hebdo des libraires 2021

Sorj Chalandon et Kazuo Ishiguro acclamés par les libraires

Kazuo Ishiguro. - Photo © Jeff Cottenden

Sorj Chalandon et Kazuo Ishiguro acclamés par les libraires

Parmi les 521 romans de la rentrée littéraire, les libraires plébiscitent Enfant de salaud de Sorj Chalandon, côté français, et Klara et le soleil de Kazuo Ishiguro, côté étranger, dans un 17e palmarès Livres Hebdo des libraires qui souligne plus encore qu'auparavant la grande diversité des ouvrages appréciés par les professionnels. Quatre libraires partagent leurs coups de cœur.

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Par Cécilia Lacour
Créé le 07.10.2021 à 15h57

Le cœur des libraires palpite pour des valeurs sûres. En tête du 17e palmarès Livres Hebdo des romans de la rentrée littéraire préférés des libraires, les professionnels ont plébiscité, en littérature française, Enfant de salaud, le dixième roman de Sorj Chalandon (Grasset) et Klara et le soleil du prix Nobel de littérature 2017 Kazuo Ishiguro (Gallimard) en littérature étrangère.

Pour autant, les libraires ont accompagné la politique des éditeurs, qui, contrairement à l'automne 2020, ont repris leur travail de dénicheurs, faisant émerger de nouvelles voix. Quatre premiers romans se sont glissés dans le classement français : Mon mari de Maud Ventura (L'Iconoclaste), Avant que le monde ne se ferme d'Alain Mascaro (Autrement), Furies de Julie Ruocco (Actes Sud) et Grande couronne de Salomé Kiner (Christian Bourgois). Ce phénomène s'observe également dans le palmarès étranger. Huit des vingt titres préférés des libraires sont des premiers romans ou des premières traductions. Quatre d'entre elles occupent la première moitié du classement : Lorsque le dernier arbre de Michael Christie, traduit par Sarah Gurcel (Albin Michel), Shuggie Bain de Douglas Stuart, traduit par Charles Bonnot (Globe), True story de Kate Reed Petty, traduit par Jacques Mailhos (Gallmeister) et Notre part de nuit de Mariana Enriquez, traduit par Anne Plantagenet (Editions du Sous-sol).

Entre grands noms de littérature et romanciers émergents, les 353 points de vente interrogés par Xerfi/I + C (voir méthodologie p. 72) ont cité davantage d'auteurs que l'année passée : 294 contre 241 en 2020, un record absolu qui traduit leur grande curiosité pour un cru 2021 de rentrée bien plus ouvert que les précédents.

Poids lourds

S'il domine le palmarès français, le roman de Sorj Chalandon, dans lequel l'auteur revient sur son enfance lorsqu'il écoutait les exploits de son père Jean, résistant pendant la Seconde Guerre mondiale, jusqu'au jour où il découvre son passé collaborationniste et ses mensonges successifs, est talonné par deux autres ouvrages d'auteurs déjà bien repérés par les professionnels. Les libraires ont massivement voté pour Seule en sa demeure de Cécile Coulon (L'Iconoclaste), en tête du palmarès des libraires 2019 avec Une bête au paradis (L'Iconoclaste), et La porte du voyage sans retour du premier lauréat français de l'International Booker Prize David Diop (Le Seuil).

D'autres poids lourds figurent dans le top 20 comme le lauréat du prix du roman Fnac 2021 Jean-Baptiste Del Amo (Le fils de l'homme, Gallimard), le grand favori des médias Philippe Jaenada (Au printemps des monstres, Mialet-Barrault) ou encore l'incontournable Amélie Nothomb (Premier sang, Albin Michel). Avec onze titres classés, les romancières dominent, cette année encore, le palmarès.

Côté étranger, Kazuo Ishiguro devance d'une courte tête Leonardo Padura (Poussière dans le vent, traduit par René Solis, Métailié). Dans son roman, le prix Nobel de littérature 2017 renoue avec la science-fiction en mettant en scène Klara, un robot intelligent créé pour tenir compagnie aux enfants et aux adolescents. Exposée dans la vitrine d'un magasin, elle attend d'être choisie par un humain mais pourrait bien déchanter lorsque l'occasion se présente enfin.

Alors que le classement français favorise les ouvrages des romancières, le top 20 étranger est dominé par les hommes (12 livres). Si les traductions de l'anglais sont majoritairement applaudies (13 titres), les professionnels ont aussi plébiscité des romans traduits de l'espagnol (ceux de Leonardo Padura et Mariana Enriquez), de l'allemand (Les dents de lait de Helene Bukowski, traduit par Sarah Raquillet et Elisa Crabeil, Gallmeister et Le chien d'Akiz, traduit par Bruce Germain, Flammarion), de l'italien (La félicité du loup de Paolo Cognetti, traduit par Anita Rochedy, Stock), du russe (Les enfants de la Volga de Gouzel Iakhina, traduit par Maud Mabillard, Noir sur Blanc) et du turc (Madame Hayat d'Ahmet Altan, traduit par Julien Lapeyre de Cabanes, Actes Sud).

Des gros lecteurs aux goûts différents

Les libraires de premier niveau et des grandes surfaces culturelles ont lu autant d'ouvrages que l'année précédente. Seuls les libraires de deuxième niveau ont moins lu (12 livres contre 14 en 2020). Et cette année encore, la très grande majorité d'entre eux croit au potentiel commercial de la rentrée littéraire.

Les professionnels interrogés ont été partagés entre Sorj Chalandon et Cécile Coulon pour la littérature française et entre Kazuo Ishiguro et Leonardo Padura côté étranger. Sorj Chalandon remporte les faveurs des libraires des premier et deuxième niveaux, des lecteurs de plus de 35 ans et des femmes, tandis que l'autrice de Seule en sa demeure est encensée par les responsables de rayon des grandes surfaces culturelles, des lecteurs de moins de 35 ans et des hommes. En littérature étrangère, Kazuo Ishiguro est acclamé par les libraires de deuxième niveau et des grandes surfaces culturelles ainsi que par les lectrices quand les professionnels de premier niveau et les hommes marquent leur préférence pour le roman de Leonardo Padura. Fait marquant, les gros lecteurs, ces libraires ayant lu plus de 30 ouvrages, ne partagent pas du tout les mêmes goûts littéraires et acclament Le fils de l'homme de Jean-Baptiste Del Amo (Gallimard) ainsi que le premier roman de Michael Christie. Comme l'année passée, le nombre de maisons citées reste élevé : 25 éditeurs sont présents dans les deux tops 20. Avec six titres au total, dont cinq placés dans le classement français, Gallimard est l'éditeur le plus plébiscité par les libraires. Il est suivi par Actes Sud, Albin Michel et Grasset (trois livres chacun) puis par Flammarion, Gallmeister, L'Iconoclaste et Stock (deux ouvrages chacun). À noter enfin que cinq éditeurs parviennent à glisser leur unique roman de la rentrée, littératures française et étrangère confondues, dans le palmarès : Minuit avec La fille qu'on appelle de Tanguy Viel et Quidam éditeur avec Ultramarins de Mariette Navarro pour le classement français et les éditions du Sous-sol avec le premier roman de Mariana Enriquez, Philippe Picquier avec Une soupe à la grenade de la primo-romancière Marsha Mehran ainsi que Joëlle Losfeld avec Des milliers de lunes de Sebastien Barry pour le classement étranger.

 

Élodie Faucheux (à gauche) et Bénédicte de Lamartinie (à droite), libraires à L'infinie comédie (Bourg-la-Reine).- Photo DR


« Un roman sans colère »
 

À L'infinie comédie (Bourg-la-Reine), l'équipe a eu « de nombreux de coups de cœur sur des livres très différents ». Au sein de cette rentrée littéraire jugée « éclectique et hyper intéressante », Bénédicte de Lamartinie encense « le livre le plus intime » de Sorj Chalandon, « un roman sans colère et écrit avec le cœur. Même s'il aborde des sujets difficiles, ce texte reste profondément humain ». De son côté, Elodie Faucheux plébiscite Seule en sa demeure, de Cécile Coulon. « J'ai beaucoup apprécié l'atmosphère et le rythme qui nous transportent jusqu'à la dernière page. Jusqu'au bout, elle arrive à nous tenir en haleine », assure la libraire.

D'autres textes ont particulièrement séduit ces deux professionnelles. Quand Elodie Faucheux apprécie « l'écriture travaillée et le style sensible » de Léonor de Récondo (Revenir à toi, Grasset), Bénédicte de Lamartinie se laisse séduire par Grande couronne de Salomé Kiner (Christian Bourgois), « un premier roman qui détonne au sein de cette rentrée », et par True Story de Kate Reed Petty, traduit par Jacques Mailhos (Gallmeister). « On va pas mal entendre parler de True Story, prédit-elle. Son originalité réside dans la diversité des formes littéraires réunies dans ce roman : on trouve un récit classique, des nouvelles, des mini-pièces de théâtre et même un CV ! Cet objet insolite est complet et tout s'y lie parfaitement. »

 

Pascal Aurejac, fondateur de la librairie Le rouge et noir (Saint-Chély-d'Apcher).- Photo DR


« J'aime son style fluide »

Gérant du Rouge et noir (Saint-Chély-d'Apcher), Pascal Aurejac est un inconditionnel de Sorj Chalandon. « J'aime son style fluide et très agréable », assure-t-il. Aussi, Enfant de salaud est l'un de ses « coups de cœur » de la rentrée. Outre le fait que ce roman se situe dans le prolongement de Profession du père (Grasset, 2015), le libraire a été séduit par « la découverte du dossier pénal de son père entrecoupée des scènes du procès de ce sinistre personnage qu'est Klaus Barbie. Cette construction était très intéressante », souligne le libraire. Pascal Aurejac plébiscite aussi le roman « bouleversant, magnifique et écrit sans pathos » de Clara Dupont-Monod (S'adapter, Stock) et le « bel hommage, remarquablement bien écrit, que Marc Dugain rend à son père » dans La volonté (Gallimard). Trois autres textes « remarquables » ont aussi remporté ses faveurs : L'unique goutte de sang, le premier roman d'Arnaud Rozan (Plon), Le fils du professeur de Luc Chomarat (La Manufacture de livres) et Tu d'Eve Chambrot (Envolume).

 
Pascale Lecreux, cogérante de La Mandragore (Périgueux).- Photo DR

« Le premier que j'ai lu »

À Périgueux, Pascale Lecreux, gérante de La Mandragore avec son époux Jean-Yves, n'a pas attendu bien longtemps avant de dévorer Klara et le soleil de Kazuo Ishiguro (Gallimard). « C'est le premier roman que j'ai lu », confie-t-elle. Amatrice de « romans d'anticipation » mais guère fan de science-fiction, la libraire s'est pourtant laissée convaincre par l'ouvrage du prix Nobel de littéraire 2017. « Puisqu'elle est un robot, la petite Klara pose un regard naïf et frais sur le monde des hommes », explique-t-elle.

La libraire a aussi « beaucoup aimé » le roman de Leonardo Padura qui « nous emmène dans chaque détail de la vie de ses personnages. Le lecteur entre vraiment de tous les interstices de la vie de chacun, ses peurs, ses ambitions, sa générosité... », déclare-t-elle. Côté littérature française, Pascale Lecreux a apprécié La fille qu'on appelle de Tanguy Viel (Minuit) et La définition du bonheur de Catherine Cusset (Gallimard). « J'aime leur écriture. C'est efficace », assure-t-elle.


 

Gilbert Castellino, gérant de Bleue comme une orange.- Photo DR

« Je pousse les premiers romans »

« J'adore Cécile Coulon depuis Le roi n'a pas sommeil [publié chez Viviane Hamy en 2012, NDLR]. Elle nous donne le sentiment d'écrire ses romans d'un seul jet, sans douleur », s'enthousiasme Gilbert Castellino, gérant de Bleue comme une orange (La Talaudière, dans la Loire). S'il a apprécié l'œuvre de Cécile Coulon et le dernier roman de Sorj Chalandon, le libraire estime « qu'ils n'ont pas besoin de [lui], tellement ils ont de presse. Ce sont des livres qui se vendent tout seul ». Aussi, il préfère miser sur son rôle de défricheur. « Je cherche toujours à pousser les premiers romans et à défendre des auteurs à peine connus », assure-t-il. Cette année, il a notamment été séduit par Les dents de lait, le premier roman « terrible mais mené avec brio » d'Hélène Bukowski, traduit en France par Sarah Raquillet et Elisa Crabeil (Gallmeister), ou Villebasse d'Anna de Sandre (La Manufacture de livres) et par le deuxième roman de Sebastian Barry (Des milliers de lunes, traduit par Laëtitia Devaux, Joëlle Losfeld).

 

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