L'un posait les questions, l'autre filmait, le second mettant en images les entretiens du premier avec des écrivains et des artistes. Ensemble, Pierre Dumayet et Robert Bober ont fait cinquante films pour la télévision. Leur « sorte d'attelage amical », selon les mots de Dumayet, a pris fin à la mort de ce dernier le 17 novembre 2011, jour des 80 ans de son complice. Mais leur compagnonnage se prolonge dans cette lettre posthume où l'auteur de Quoi de neuf sur la guerre ? (P.O.L, 1993) partage ses souvenirs avec son cher disparu. Des souvenirs en désordre où l'enfant juif de la Butte-aux-Cailles, l'apprenti tailleur, l'assistant de François Truffaut fait entrer le lecteur au cœur de leur familiarité créative, tout en évoquant son propre rapport aux mots et aux images. Comme sur son exemplaire des Récits hassidiques, de Martin Buber que Bober avait fait découvrir à son ami, le livre est plein de « soulignements ». De citations et de ces notes en bas de pages qu'il aime tant, lui qui recopie sur des Post-it « des petites phrases dénichées au cours de [ses] lectures ».
Il se souvient donc. De ceux qui ont formé son regard : Max Ophuls, Georges Perec avec qui il a réalisé Récits d'Ellis Island (1980), Pierre Reverdy, Doisneau, André Schwarz-Bart, Hans Hartung, Vladimir Jankélévitch, Serge Lask ou Erri de Luca à qui il a consacré un film en 2001... Il y a bien aussi, en passant, ses propres engagements de cinéaste, des réflexions sur la responsabilité du filmeur, mais jamais de grandes leçons : Robert Bober a la modestie des artisans, de ceux qui ont appris leur métier en le faisant, en regardant travailler les maîtres. Et vis-à-vis de la littérature, cette position très touchante de l'autodidacte venu à la lecture sur le tard, à l'écriture sur la pointe des pieds, longtemps soumis à la peur de décevoir et toujours un peu en retrait pour laisser les autres dans la lumière. Tout juste mentionnant sa fierté presque aussi grande d'avoir fait entendre pour la première fois la langue yiddish à la télévision que d'avoir obtenu l'examen de tailleur-coupeur-gradueur avec mention très bien.
Par instants, la vie n'est pas sûre, dont le titre est extrait de La nonchalance, de Pierre Dumayet (Verdier, 1991), est un exercice d'admiration, une reconnaissance de dettes avec des aveux posthumes et quelques regrets. Dont celui de ne pas avoir fabriqué, avec son vieux complice, une série qui se serait appelée Le regard et l'écoute. Les deux sont bien présents, dans ses mots doux.
Par instants, la vie n'est pas sûre
P.O.L
Tirage: NC
Prix: 21,90 € ; 384 p.
ISBN: 9782818051481