Le jardin de l'âme - l'image du carré de verdure fleuri comme métaphore de l'esprit de l'homme - abonde dans la littérature spirituelle depuis l'Antiquité. Si la contemplation de la nature apaise, cette paix peut aussi se cultiver activement en s'occupant d'un enclos verdoyant. Ainsi nous exhorte à s'emparer de la binette et du râteau, de la houe et de l'arrosoir l'auteure de L'équilibre du jardinier, Sue Stuart-Smith. La psychiatre anglaise, férue de jardinage, et dont l'époux paysagiste, Tom, a créé le jardin de The Barn, leur maison dans le Hertfordshire au nord de Londres, fait bien plus que prendre la morale de Candide de Voltaire « il faut cultiver notre jardin » au pied de la lettre, elle signe un véritable guide de garden therapy : le soin par le jardin.
La souffrance de certains tient à ce qu'ils ne savent pas qui ils sont dans la mesure où ils ignorent où ils sont. D'autres croient savoir et ne sont pas réconciliés avec l'image qu'ils ont d'eux-mêmes. Séparation, déchirure, abus... tant de blessures, grandes ou petites, empêchent l'individu de s'épanouir. S'ouvre alors le jardin tel un possible espace d'harmonie liant le dedans et le dehors, l'intime et le monde, à travers cette attention apportée aux arbres, aux plantes, aux fleurs. Kay, une patiente dont toute entreprise semblait vouée à l'échec du fait d'un traumatisme subi dans l'enfance, reprend pied dans ce lopin de terre qu'elle se met à cultiver. Kay se décentre et se recentre... sur l'essentiel. Dans le jardin, c'est le corps qui entraîne l'esprit, l'ancre dans le réel, le concret de la terre, pour mieux nous détacher de nous-mêmes, de nos problèmes et de la temporalité d'autrui. La nature et ses saisons ont leur rythme que notre rythme - l'emploi du temps utilitaire - ne connaît point. L'équilibre du jardinier invite à restaurer la grâce d'un temps qu'on habite pleinement, corps et âme.
Sue Stuart-Smith mêle anecdotes personnelles et théories psychanalytiques. Elle se rappelle ce grand-père survivant d'un camp de prisonniers en Turquie qui devint une sommité de l'élevage d'orchidées, cite le romantique Wordsworth ou le poète de la Grande Guerre Wilfred Owen (elle avait étudié les lettres avant de bifurquer en médecine). Elle relate un périple dans la vallée du Rift au Kenya, ou la légende de saint Maurille d'Angers qui, honteux d'une faute, se fit jardinier en Angleterre. C'est avec une limpidité érudite que la thérapeute jardinière convoque les psychanalystes Donald Winnicott ou Melanie Klein. Le ton ici n'est jamais docte, l'écriture n'y est pas mièvre non plus comme peuvent l'être les catéchismes du bien-être.
L'équilibre du jardinier Traduit de l'anglais par Madeleine Descargues-Grant
Albin Michel
Tirage: 10 000 ex.
Prix: 21,90 € ; 352 p.
ISBN: 9782226457493