Avant-critique Récit

Suzanne Scanlon, "Cible mouvante" (Les Éditions du Portrait)

Suzanne Scanlon - Photo © Brian McConkey

Suzanne Scanlon, "Cible mouvante" (Les Éditions du Portrait)

Suzanne Scanlon témoigne de son expérience en hôpital psychiatrique dans un récit subjectif, pendant de son récent roman sur le même sujet.

Parution 18 octobre

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Par Marie Fouquet
Créé le 16.10.2024 à 09h00

En revenir. « On y revient toujours, n'est-ce pas ? » C'est la première évidence qui vient à Suzanne Scanlon lorsque, vingt ans après avoir été internée à l'Institut psychiatrique de l'État de New York, ses pas la mènent « par hasard » à l'adresse de cette « maison » qui fut la sienne pendant trois ans. Se retrouver face à cet établissement, devenu, depuis, une école de santé publique, lui donne le sentiment que « le passé demeure, [qu'] il nous attend ». Elle demande alors à recevoir son dossier médical et se replonge dans cette expérience vécue après avoir échappé à ce qui apparaissait alors comme une tentative de suicide. Jugée « éternellement en deuil » depuis la mort de sa mère, décédée d'un cancer et avec laquelle elle a vécu pendant de longs mois, elle avait été admise en psychiatrie. Vingt ans après « en être revenue », c'est par l'écriture et grâce à la distance que lui ont apportée des années à vivre dans le monde du dehors qu'elle retourne à ces trois années en hôpital psychiatrique, dans ce court Cible mouvante.

Il y a quelques mois paraissait Jeunes femmes pleines de promesses (Éditions du Portrait), dans lequel Suzanne Scanlon brossait le portrait d'un personnage, Elisabeth, dont les traits révélaient les siens, à peine dissimulés. Elle y présentait d'autres jeunes femmes rencontrées à l'hôpital pendant ces années d'internement, exposant leur quotidien, leurs traitements, leurs échanges, leurs parcours. L'autrice Eileen Myles a décrit avec justesse l'effet polyphonique implicite de ce livre : « J'aime l'intimité des personnages qui m'enchaîne au texte, dans ce livre il y a tant de nous, de nos vies en tant que femmes et en tant que femmes écrivaines. » La part d'autofiction de ce premier ouvrage (les noms ont été modifiés, une note de l'éditrice Rachèle Bevilacqua précise qu'il s'agit d'un roman) révèle bien vite la véracité d'une expérience vécue, qui déplace le texte dans une dimension autothéorique que Suzanne Scanlon qualifie, elle, de « mémoire critique ». Dans Cible mouvante, l'autrice assume cette fois totalement sa subjectivité par le biais d'un discours à la première personne. La nouveauté ici, c'est que Suzanne Scanlon montre la manière dont le discours, l'institution médicale, les médecins qui environnent ces jeunes femmes internées, orientent, influencent voire déterminent (et donc s'approprient) leur existence et la manière dont elles peuvent, ou non, se définir elles-mêmes. Ce témoignage nécessaire de la vie dans un hôpital psychiatrique américain, même s'il révèle une forme de douceur dans certaines rencontres que l'autrice a pu y faire avec les autres femmes, met aussi en avant les dangers et les dérives d'une institution médicale dont les discours et le statut autoritaires poussent finalement les patientes à s'autoqualifier comme malades et à s'enfermer dans cette seule définition. Suzanne Scanlon invite, avec l'écriture, à retrouver ses propres mots, à « s'investir soi-même ».

Suzanne Scanlon
Cible mouvante
Éditions du Portrait
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Marie Chuvin et Laure Jouanneau-Lopez
Tirage: 800 ex.
Prix: 8,90 € ; 96 p.
ISBN: 9782371200623

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