Invariablement Beigbeder m’horripile ; invariablement je me dis que je l’aime bien quand même. Il m’horripile en clamant dans Le Figaro littéraire que Paul-Jean Toulet est un grand poète. Beigbeder a découvert ça, et c’est un événement. Mais ça fait longtemps que tout le monde le sait ! En plus, il faut qu’il pipolise la chose : Toulet fréquentait le grand-père de Beigbeder. C’est vous dire. Moi, je regrette, pour admirer un écrivain, je n’ai pas besoin de démontrer qu’il reluquait les jupes de ma grand-tante. Voilà… Et puis je relis l’article, et je le trouve étincelant d’un bout à l’autre. Il a dit ce qu’il fallait dire. Beigbeder voudrait être un damné de ce temps, une âme perdue. Il s’y efforce. Mais voilà, il aime passionnément la littérature et il n’arrive pas à le cacher. Le diable n’a besoin que d’un cheveu, dit le proverbe, pour tirer un homme vers l’enfer. Dieu n’a besoin que d’une sincérité pour en sauver un autre. * Récemment, le même Figaro littéraire rappelait que le Manifeste futuriste de Marinetti parut, il y a un siècle, dans ses colonnes. Un peu plus récemment, il rendait hommage à Mauriac, dont on réédite (chez Bartillat) les admirables « papiers » qu’il donnait à ce journal après la guerre. Manière de dire qu’un journal peut s’appuyer sur la création littéraire la plus haute. Manière de dire que la création littéraire la plus haute a pu faire la gloire d’un journal quotidien. A présent, sous la houlette de Jean d’Ormesson, Le Figaro fournira hebdomadairement à ses lecteurs un grand classique de la littérature française. Idée toute simple, initiative « grand public » dont on doit se réjouir. Par les temps qui courent, tout est bon à prendre qui maintient ou étend l’espace littéraire. * Lancement de la traditionnelle Semaine de la langue française, jeudi dernier, rue de Valois. Présence infime des écrivains ; absence carabinée des éditeurs. On ne les invite pas ? Ou bien ils s’en fichent ? Hélas ! Je crains que la seconde hypothèse ne soit la bonne. Cette pauvre langue française, malmenée par les politiques de droite et de gauche, chahutée par ce qu’on appelle mondialisation, cette pauvre langue française dont la seule « défense et illustration » vous fait passer pour un vieux ringard tout juste bon à repeupler le quai Conti – cette pauvre langue française, ne comptez pas sur les maisons d’édition pour dire qu’elles lui sont attachées, ni pour avoir l’air de comprendre qu’elles ont partie liée avec sa bonne santé, puisque jusqu’à nouvel ordre, elles vendent des livres qui ont l’air d’être écrits dans cette langue. (Je sais, cette dernière affirmation se discute. Mais quand même.) En voilà encore qui ne voient aucun inconvénient à laisser scier l’arbre dans lequel ils sont perchés. J’en étais là de mes réflexions lorsque je découvris avec stupeur dans Libération l’attaque en règle de MM. Michel Deguy, Jacques Dupin et Martin Rueff, poètes de leur état, contre cette même Semaine de la langue française. Il leur aura donc fallu une bonne dizaine d’années pour en découvrir l’existence, et se dresser avec un courage héroïque face à l’insupportable dictature de M. Xavier North et de sa Délégation, opérateur de la manifestation ! C’est malin, ça ! Il subsiste une humble délégation ministérielle pour se soucier encore de la langue française, et voilà nos poètes combattants tout prêts à la canonner. Non que ce rite annuel (à quoi ne se réduit pas le travail de la Délégation) soit hors de tout reproche. Un Philippe Muray l’aurait peut-être passé à la casserole de sa critique de la « festivisation » générale. Mais c’est un autre débat. Et quand on voit la piètre considération dont témoignent nos actuels gouvernants relativement à la culture écrite et littéraire, il y a lieu de se demander si le moment est bien choisi pour tirer contre son camp. * Dans le « Livres-Hebdo des lecteurs », un article bref mais remarquable de Mme Marie-Paule Rochebois sur le rôle et le statut des correcteurs. Rôle et statut de plus en plus fragilisés par ce qu’elle appelle «  la course au prix minimum du livre  », et qu’on pourrait moins euphémiquement appeler la course au profit. Il y a encore beaucoup de maisons d’édition qui ont le souci d’un travail rigoureux à cet égard, mais on sent bien quelle est la tendance et il faut y prêter attention. La « tenue » de l’écrit (qui ne contredit pas la liberté linguistique) est le socle de tout. Avis aux poètes épris de grandes causes ! * Je lis que François Bégaudeau va écrire un livre pour enfants sur le thème du football. C’est Télérama qui va être content ! Quant à moi, c’est décidé : je vais écrire un porno que je proposerai à M. Esparbec. J’y ferai, en outre, l’apologie de l’alcool et du tabac.

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