Si le choc provoqué par les attentats en France s’était déjà cristallisé dans la production littéraire de l’automne 2016, les romanciers français, toujours portés par la triste actualité, vont en 2017 encore plus loin dans l’exploration de la violence et de ses impacts. Présent au Bataclan, en novembre 2015, Erwan Larher confie dans Le livre que je ne voulais pas écrire (Quidam) un témoignage littéraire sur l’attentat. La mise en place de l’état d’urgence inspire Frederika Amalia Finkelstein qui narre dans Survivre (L’Arpenteur) l’histoire d’Ava, une jeune femme de 25 ans angoissée par la présence dans le métro des militaires mobilisés dans le cadre de Vigipirate. Dans Protection rapprochée (Lunatique), Fabien Maréchal met en scène l’histoire de Marc et Cécile, un couple perturbé par l’installation d’une annexe du commissariat dans le sous-sol de leur immeuble. Aurélien Delsaux revient, lui, sur l’origine de la violence avec Les sangliers (Albin Michel) où il met en scène la première tuerie raciste dans un lycée français aux Feuges, un village niché entre l’Isère et le Dauphiné. Pierre Ducrozet donne une suite à l’affaire des enlèvements d’Iguala, où 43 étudiants ont disparu en 2014 au Mexique, dans L’invention des corps chez Actes Sud.
Dégradation de l’environnement
Les questions environnementales hantent aussi les écrivains, qui critiquent plus généralement les dérives de la société de consommation. Dans La fonte des glaces (P.O.L), Joël Baqué raconte l’histoire de Louis, un retraité taciturne et ancien charcutier, qui devient malgré lui une icône planétaire de l’écologie à cause de ses discours sur la fonte de la banquise. Avec la fable Roger-pris-dans-la-terre (Le Bord de l’eau), Paul Ardenne évoque les nouvelles maladies apparues en raison de la dégradation de l’environnement à travers le personnage d’un paysan. Dans Jusqu’à la bête (Asphalte) de Timothée Demeillers, Erwan, ouvrier dans un abattoir près d’Angers, vit au rythme des carcasses qui s’entrechoquent et finit par commettre l’irréparable, lassé par la répétition des gestes, des cadences. Ras-le-bol aussi pour les salariés d’un abattoir breton qui décident de séquestrer le secrétaire d’Etat à l’industrie, puisqu’une délocalisation semble être entérinée, dans le dernier roman d’Arno Bertina, Des châteaux qui brûlent (Verticales).
D’autres faits qui ont marqué l’année dernière la une des journaux trouvent également un écho à la rentrée. La disparition de David Bowie a chagriné Sonia David qui signe David Bowie n’est pas mort chez Robert Laffont, ainsi que Jean-Michel Guenassia dans De l’influence de David Bowie sur la destinée des jeunes filles chez Albin Michel. Une certaine ressemblance avec l’affaire Bettencourt apparaît dans le nouveau roman du journaliste Eric Deschodt, Abus de fortune à paraître chez De Fallois. Les débats autour des questions LGBT sont présents dans le nouveau roman du réalisateur Christophe Honoré, Ton père (Mercure de France) où il s’interroge sur son identité de père homosexuel. La transsexualité est au cœur de Point cardinal de Léonor de Récondo à paraître chez Sabine Wespieser.
La crise des migrants a également secoué le pays. Pierre Demarty s’intéresse dans Le petit garçon sur la plage (Verdier) à l’émotion violente qu’éprouve un homme face à la vision d’un enfant abandonné sur la plage. Un enfant migrant comme ceux qui errent à Calais dans le roman de Delphine Coulin, Une fille dans la jungle, publié chez Grasset. Des adultes fuient eux aussi la guerre chez Amin Zaoui. Dans L’enfant de l’œuf (Le Serpent à plumes), ce dernier aborde la question de l’exil et de l’identité avec une chrétienne de Damas réfugiée à Alger qui est témoin (avec son compagnon et son chien) de sa propre destruction dans un pays d’accueil rongé par l’islamisme radical. Ce pays, l’Algérie, se trouve être l’un des terrains de prédilection de cette rentrée littéraire. Les souvenirs datant de la guerre d’indépendance ont laissé des traces indélébiles dans les personnages de Tassadit Imache et ses Cœurs lents (Agone) tout comme chez les deux amis qui se lient d’amitié dans Un loup pour l’homme de Brigitte Giraud (Flammarion) et dans Indocile d’Yves Bichet (Mercure de France). Alice Zeniter, Jean-Marie Blas de Roblès et Kaouther Adimi traitent aussi, sous différents prismes, la guerre d’Algérie : la première revient sur la vague migratoire des années 1960 pour essayer de comprendre la crise identitaire que traverse aujourd’hui la France dans L’art de perdre (Flammarion), le deuxième signe chez Zulma Dans l’épaisseur de la chair où il explore l’histoire du pays par le biais de l’amour d’un fils pour son père, et la troisième oppose deux générations dans Nos richesses (Seuil).
Biographies sublimées
Des errances dans d’autres pays, également inspirées de faits ou de personnages réels, poussent les auteurs à mener des introspections. Pierre Brunet se glisse dans la peau d’un officier de la marine d’élite, hanté par le génocide rwandais, qui part en solitaire sur son voilier pour reprendre goût à la vie dans Le triangle d’incertitude (Calmann-Lévy). Non loin de la mer, en Bretagne, Jean-Luc Coatalem s’empare du destin du militaire, marin et poète Victor Segalen dans Mes pas vont ailleurs (Stock) et revient au demeurant sur sa vie, ses souvenirs, ses voyages et ses écrits. Quant à Jean-Jacques Langendorf, il a choisi de raconter sa vie en la mêlant à celle du Genevois de l’époque napoléonienne Menu de Minutoli dans Le consulat de la mer (Infolio). Le baroudeur Julien Blanc-Gras tente de réconcilier l’Orient et l’Occident dans un récit de voyage aux Emirats, teinté d’humour (Dans le désert, Au Diable vauvert). Enfin Isabelle Monnin propose un voyage dans le temps qui démarre avec sa naissance, dans les années 1970, dans son roman autobiographique Mistral perdu, à paraître chez JC Lattès.
La littérature du réel passe cette année encore par l’exofiction, ces biographies sublimées par le romancier. Chez Gallimard, François-Henri Désérable mène une enquête sur le voisin de Romain Gary dans Un certain M. Piekielny. Olivier Guez nous transporte en Amérique latine avec La disparition de Josef Mengele (Grasset) où il part sur les traces d’un criminel nazi. Avec Lola Lafon, dans Mercy, Mary, Patty (Actes Sud), le lecteur s’envole pour la Californie des années 1970 en découvrant Patricia Hearst, la petite-fille du célèbre magnat de la presse William Randolph Hearst, qui fut kidnappée par un groupuscule de révolutionnaires dont elle épousa finalement la cause. Après Pauline Dubuisson en 2015, Philippe Jaenada revient dans La serpe (Julliard) sur le parcours d’Henri Girard, accusé en 1941 d’avoir assassiné son père, sa tante et leur bonne dans leur château près de Périgueux. Dans Qui es-tu Yann Andréa ? (Busclats), Thierry Soulard s’arrête sur l’existence de son ami de lycée, Yann Andréa, devenu bien plus tard le compagnon de l’écrivaine Marguerite Duras. Et Antoine Grognet, avec Mister George : biographie romancée de George Weah (Salto), raconte la vie de cet enfant du Liberia devenu footballeur, premier joueur africain à avoir gagné le Ballon d’or, qui a essayé de devenir président de son pays.
Plusieurs titres autour de la peinture donnent cette année une reconnaissance à des figures parfois passées inaperçues. Notamment chez Stock qui présente trois titres dans cette veine : celui d’Olivia Elkaim et son Je suis Jeanne Hébuterne où elle donne une voix à celle qui fut le dernier amour et muse de Modigliani. La petite danseuse de quatorze ans de Camille Laurens plonge dans l’enfance de Marie Van Goethem, le célèbre modèle de Degas. Et Gabriële des sœurs Anne et Claire Berest où les auteures découvrent l’existence de leur arrière-grand-mère Gabriële Buffet Picabia, mariée à Francis Picabia, peintre célèbre de la première moitié du XXe siècle. Sur les traces cette fois-ci de son arrière-grand-tante, Marie Charrel raconte dans Je suis ici pour vaincre la nuit (Fleuve éditions) le parcours de Yo Laur, artiste reconnue du début du XXe siècle pour ses tableaux représentant des scènes animalières. Mathieu Terence s’intéresse, lui, dans Mina Loy, éperdument (Grasset), à une poétesse, peintre, essayiste et intellectuelle née dans l’Angleterre victorienne. Toujours chez Grasset, Julien Delmaire propose Minuit, Montmartre et revient, par le biais de son dernier amour, sur la vie du peintre Théophile-Alexandre Steinlen, connu pour son affiche du cabaret du Chat-noir. I. C.