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Thomas Jonglez, l'édition sans frontière

Thomas Jonglez vit aujourd'hui à Berlin. - Photo DR

Thomas Jonglez, l'édition sans frontière

Dès la fondation de sa maison d'édition en 2005, Thomas Jonglez a fait le pari de créer dans le monde entier des guides touristiques locaux faits par et pour les habitants, en passant des contrats de diffusion spécifiques dans chaque pays concerné. Retour sur un modèle hors normes.

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Par Anne-Laure Walter
Créé le 22.11.2019 à 13h16

A Ubud, sur les hauts plateaux de Bali, à quelques kilomètres de la forêt tropicale et des rizières en terrasse parsemées de sanctuaires hindous, la librairie Periplus présente une pile de Secret Bali - an unusual guide, où l'on apprend que des pigeons jouent de la flûte dans la ville. Ce guide, disponible aussi en français, a été édité par Jonglez, dont le siège social se trouve à 12 400 kilomètres de là, à Versailles.

Cette diffusion à travers le monde est la marque de fabrique de la maison d'édition française, créée en 2005 par Thomas Jonglez. Le chef d'entreprise à la dégaine d'éternel baroudeur a signé des contrats avec des diffuseurs dans 32 pays, l'Indonésie étant son dernier fait d'armes, en mai dernier, afin que la collection phare de son catalogue, les « guides insolites et secrets », des ouvrages faits « par les habitants pour les habitants » selon la définition du fondateur, soient présents au plus près de leur public. « Nous réalisons 80 % des ventes d'un titre sur place, il est donc crucial d'avoir des auteurs locaux, comme une diffusion locale », explique-t-il, lors d'un passage à Paris. Jonglez est diffusé sur cinq continents, dans 16 pays d'Europe comme en Amérique du Nord et du Sud, en Afrique (Afrique du Sud), en Asie du Sud-Est, au Japon et même en Océanie, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Deux pays lui résistent : la Chine et la Russie, où on lui demande de coéditer avec un éditeur local pour accéder à une diffusion, ce qu'il se refuse à faire.

Ce petit éditeur, qui fonctionne avec des free-lances à travers l'Europe, « nos collaborateurs sont à Madrid, Rome, Athènes ou Londres », détaille-t-il, est dans son organisation même, sans frontière. La société a son siège à Versailles, son patron vit depuis septembre à Berlin, son logisticien et chef de fabrication réside en Grèce, ses graphistes sont en France et en Italie, les impressions se font en Bulgarie et en Chine, « après avoir imprimé pendant dix ans en France », précise Thomas Jonglez. Il a l'habitude de travailler avec des auteurs locaux (professeurs, artistes, écrivains) basés au Cap, à Bali, à la Nouvelle- Orléans ou à Santiago et qui écrivent dans leur langue, ainsi qu'avec des traducteurs qui transposent le texte dans cinq langues touristiques. « Le guide de Santiago au Chili par exemple n'est qu'en espagnol, pas en français, faute de marché ». Les auteurs fournissent des adresses pointues de lieux culturels, historiques, atypiques. Pas de restaurants ou d'hôtels, des informations que l'on trouve plutôt sur TripAdvisor et autres sites internet ou dans les guides concurrents. « Nous proposons l'autre guide à emporter. Il n'est pas adapté pour découvrir une première fois une ville touristique mais plus conseillé à quelqu'un qui veut sortir des sentiers battus », pointe-t-il.

Pas de côté

La maison est née autour de ce concept du pas de côté, alors que Thomas Jonglez était encore salarié d'une grande entreprise spécialisée dans l'acier. Le Parisien de 49 ans a fait des études de gestion à l'Essec et a obtenu un premier emploi chez Usinor comme responsable export pour l'Amérique latine avant de travailler pour la division Ugine, centrée sur les aciers inoxydables. « L'idée de monter la maison d'édition m'est un peu tombée dessus lors d'un voyage au lac Baikal, en Sibérie, en 2003 », raconte ce grand voyageur depuis l'âge de 18 ans, où il a « contracté ce joli virus pendant [son] premier vrai voyage entre amis en Inde ». La collection débute en 2003 en coédition avec Stock par le titre Bruxelles insolite et secrète. Le guide marche plutôt bien mais, suite à un changement de politique éditoriale, Stock ne poursuit pas la collaboration pour le deuxième ouvrage, consacré à Marseille. Thomas Jonglez se rapproche alors de Michelin qui diffusera pendant dix ans ses guides dans toute l'Europe.

C'est à cette époque qu'il décide de changer de vie, quitte Usinor, monte sa maison d'édition et part en famille s'installer à Venise où il restera sept ans. Il en profite pour développer le marché italien, perfectionnant sa diffusion sur place en ciblant les musées. Ce pays est aujourd'hui le deuxième marché de Jonglez, derrière l'Angleterre et devant la France. En 2013, il fait de nouveau ses bagages pour Rio, « excellente base » pour développer les activités dans l'ensemble de l'Amérique latine, où il est aujourd'hui présent dans six pays. Il y vivra jusqu'à l'été dernier quand il décide de revenir en Europe, déménageant à Berlin. L'occasion pour lui de pénétrer le marché allemand via son diffuseur Marco Polo. Un Berlin insolite et secrète est en préparation pour mai 2020 ainsi qu'un guide sur Francfort. Il a d'ailleurs profité de la foire du livre, en octobre, pour tester quelques adresses. Il commence son apprentissage de l'allemand, une tâche à la hauteur de ce polyglotte, qui maîtrise le portugais, l'anglais, l'espagnol et l'italien, et même des rudiments de japonais et d'indonésien.

Passé industriel

Il y a trois ans, Michelin arrêtant de distribuer des éditeurs tiers (avant de rejoindre le 1er janvier Media Diffusion), Thomas Jonglez confie la diffusion de son catalogue à Interforum et diversifie légèrement sa ligne. Si les guides insolites et secrets restent la colonne vertébrale de sa maison avec une offre de 60 titres et plus d'un million de volumes écoulés, il crée en novembre 2018 une deuxième collection « soul of » pilotée par la cofondatrice de My little Paris, Fanny Péchiodat. Chaque ouvrage - il en existe 5 pour le moment - propose trente expériences que l'auteur juge exceptionnelles comme infiltrer le repaire secret des chanteurs de fado à Lisbonne ou passer la nuit sur l'étagère d'une bibliothèque à Tokyo. Enfin, celui qui n'a pas oublié son passé industriel, a aussi développé une petite ligne de livres de photos (une quinzaine de titres) sur les lieux abandonnés, dans la mouvance de l'urbex (exploration urbaine). Le dernier, Baïkonour : vestiges du programme spatial soviétique, de Jonk, est paru le 14 novembre.

22.11 2019

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