11 OCTOBRE - ROMAN Israël

Tombeau pour le fils interrompu

Tombeau pour le fils interrompu

Après Une femme fuyant l'annonce, David Grossman revient sur le thème de la mort de l'enfant au travers d'un roman choral qui dépeint avec un extraordinaire souffle poétique le paysage de la douleur. Poignant.

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Par Sean James Rose
Créé le 27.10.2014 à 15h34 ,
Mis à jour le 30.10.2014 à 16h44

David Grossman- Photo ZAZOO/SEUIL

plus ses parents est appelé orphelin. Mais quel est le mot par lequel on désigne celui ou celle qui a perdu son enfant ? C'est sans doute parce que le lexique est manquant et que le deuil bégaie que l'écrivain écrit. Le 12 août 2006, deux jours avant le cessez-le-feu effectif de la deuxième Guerre du Liban, Uri, le plus jeune fils de David Grossman, appelé sous les drapeaux, meurt âgé d'à peine 20 ans. Mort absurde qui happe dans la fleur de l'âge, d'autant plus absurde que Grossman aux côtés d'Amos Oz et de A. B. Yehoshua s'était publiquement opposé au conflit.

En 2008 sort en Israël Une femme fuyant l'annonce. Traduit au Seuil l'année dernière, ce roman valut à l'auteur, né à Jérusalem en 1954, de rencontrer enfin un large public en France et de remporter le prix Médicis étranger 2011 (il ressort en Points Seuil, tout comme Le livre de la grammaire intérieure). Dans Une femme fuyant l'annonce, une mère qui redoute la nouvelle du décès de son fils pendant son service militaire veut conjurer ce destin funeste et éviter les messagers de la mort en prenant la route. Ainsi se déploie une longue pérégrination où Ora raconte son fils à Avram, un amour de jeunesse, qui l'accompagne dans sa fuite. C'est le même thème de l'enfant disparu qui hante les pages du dernier livre de David Grossman, Tombé hors du temps. Mais ici, la fresque lyrique qui embrasse l'histoire contemporaine israélienne a laissé place à une scène épurée au symbolisme atemporel, un "récit pour voix" vibrant au deuil des protagonistes. L'homme qui marche, le chroniqueur de la ville, le centaure, le duc, la sage-femme, le cordonnier, le vieux professeur de mathématiques, tous racontent comment a disparu leur fils ou leur fille. Emportée par la maladie, noyé, tombé au front... Fillette, adolescent, jeune homme... La Camarde ne se soucie guère de la verdeur de qui elle étreint.

David Grossman a travaillé le souffle et la scansion, a joué sur différents registres de langue (magnifiquement rendus par la traduction d'Emmanuel Moses). Le chroniqueur de la ville, sorte de coryphée, à qui le duc a interdit de parler de son propre malheur, n'a le droit que de témoigner de celui d'autrui ; le centaure, figure de l'écrivain, écrasé par le chagrin ne sait plus que conjuguer le mot "mort" ; la sage-femme ânonne le récit de sa catastrophe. Il y a du théâtre dans ce texte mais nul pathos d'histrion, c'est par le filtre de la poésie que l'auteur fait passer l'infini de la peine.

L'universalité de ton de ce roman choral n'ôte rien à l'émotion, car ce qui chante est la douleur de la chair tranchée à vif. Sevré de son enfant, chacun des dramatis personae essaie de vivre et d'habiter un présent troué par l'absence : "Sa mort/Fait de moi une enveloppe/Vide de père, et aussi/De mère -/Sa mort/Me dote de seins/Pour qui ne tétera pas/Et sur les parois de mon utérus creusé/Ce jour-là/Sa mort grave avec les ongles/D'un prisonnier évadé/Le décompte des jours/Sans lui."

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