Témoignage vital. « J'ai été violée, je suis une survivante. » Ainsi s'exprime courageusement Toufah Jallow. Née en Gambie, elle a traversé cette tragédie qui fut le début d'un sombre tunnel. Le silence l'a longtemps accompagnée, mais elle a décidé de raconter son histoire afin d'encourager d'autres femmes à sortir de l'ombre, à ne pas se laisser transformer en spectre. À l'ONU, on note « des chiffres, des chiffres, des chiffres. Aucune histoire. Pas une seule femme. Aucun dispositif de secours. Aucun visage. Aucune aide. Nous sommes toutes exilées au pays des statistiques. Cela nous rendait invisibles. Je ne veux pas être un chiffre. » Alors la jeune femme s'allie à la journaliste Kim Pittaway pour retracer son incroyable parcours. Toufah grandit sur sa terre natale, au sein d'une famille nombreuse. Après le décès de son frère autiste, elle plonge dans les études, où elle s'impose brillamment. Voilà pourquoi on l'encourage vivement à participer à un concours d'excellence national. Annuel, il vise à récompenser une jeune fille pour ses talents, en sponsorisant son projet professionnel. Toufah Jallow l'emporte largement à seulement 19 ans. Le prix est d'autant plus prestigieux qu'il est remis par le président de la Gambie, Yahya Jammeh. Un véritable dictateur, y compris à demeure où le prédateur piégera sa proie. « Si je veux une femme, je l'obtiens, et il n'y a pas d'exception. » Pourtant Toufah résiste à ses avances et son argent. « Il savait qu'il agissait en toute impunité. Parce qu'il était le président. Et parce que personne ne croirait jamais la parole d'une fille comme moi. » Cette parole s'inscrit dans un trauma à vie. « Il n'y a pas de mots pour viol en peul. Aucun mot pour dire la différence entre le sexe avec ou sans consentement. Ce n'est pas que les viols n'ont pas lieu. C'est qu'ils sont censés être si rares que nous n'avons pas besoin de mots pour le dire. Et s'ils se produisent malgré tout, nous ne devons pas en parler. » Surtout s'ils sont commis par un homme aussi puissant, voire intouchable. Blessée dans sa chair, la victime se terre en voulant lui échapper, mais Toufah sait qu'elle n'effacera jamais ce crime. « J'aurais voulu retirer mes organes génitaux de mon corps, les dissimuler quelque part où personne ne les verrait jamais, j'aurais voulu les séparer de mon moi. Ceci est mon secret. » Un secret lourd à porter. La jeune femme pressent qu'elle et les siens sont en danger. Yahya Jammeh ne la laissera jamais en paix, alors elle doit fuir et se lance dans une dangereuse épopée, seul chemin possible. Toufah arrive au Canada, où elle devient une réfugiée parmi d'autres... « J'ai perdu une part de moi-même. Mon corps était là, moi non. » Il lui faudra des années pour renaître à elle-même. Unique manière de retrouver sa liberté : témoigner devant le monde entier et surtout dans son pays, la Gambie, afin que le président déchu puisse trembler et que d'autres femmes reprennent leur destin en main. « Grâce. Dignité. Force », voilà ce qui caractérise Toufah Jallow qui prolonge son action dans une fondation engagée, The Toufah Foundation.