Il a le nez de sa mère, la bouche de son père, les yeux de pépé. Lors d'une naissance, chacun a eu affaire à ce curieux portrait puzzle. François Noudelmann a creusé le sujet. A sa manière. C'est-à-dire celle d'un philosophe. Spécialiste de Sartre, professeur à l'université de Paris-8, producteur de l'émission quotidienne "Le journal de la philosophie" sur France Culture, il possède à la fois le savoir et le sens de sa transmission.
L'essai qu'il nous propose est donc non seulement accessible, mais il permet aussi quelques incursions inattendues chez Proust, Zola, Derrida, Mishima, Malebranche, Buffon, Darwin, Goethe ou Wittgenstein pour cerner le thème de la ressemblance. "Ressembler, c'est transporter des traces, quitte à les abandonner dans le souffle des formes continuellement instables."
Cette "philosophie des affinités", aussi savante que passionnante, François Noudelmann la présente sous la forme d'une enquête où il est question de signes, de familles, de typologies, de généalogies, de sosies et même d'animaux, avec ces maîtres qui, dit-on, finissent par ressembler à leurs chiens, ou l'inverse...
Cette enquête nous fait comprendre que, au-delà des théories scientifiques essentiellement élaborées au XIXe siècle, Darwin et son arbre buissonnant ont mis en évidence un élément primordial dans cette démarche de filiation : le besoin de s'inscrire dans la Nature, d'y repérer sa place et d'exprimer - heureusement - la possibilité des autres.
Sur ce thème du visage si cher à Levinas, François Noudelmann nous entraîne dans ses lectures et ses cheminements. Lui aussi opère par affinités, en se déplaçant d'un écrivain à un penseur pour finir par évoquer sa passion pour la musique, passion qu'il avait si bien traitée dans Le toucher des philosophes (Gallimard, 2008) où il convoquait Sartre, Nietzsche et Barthes au clavier d'un piano bien tempéré. Ici, il aborde ce qu'il appelle joliment "la musique des visages".
"La croyance que l'on devient soi-même en s'identifiant physiquement à ses ancêtres, sérieuse ou farfelue, rappelle à quel point il ne va pas de soi de ressembler aux membres de sa famille." Mais tout de même, un constat s'impose : la ressemblance rassure, la dissemblance inquiète. D'où ce désir de s'insérer dans une lignée, de trouver sa note, de se sentir en harmonie. Un appétit d'affinité qui relève de la décision, car la ressemblance requiert une confirmation. Rien n'est en effet plus instable qu'une identification. Pour nous en convaincre, François Noudelmann nous renvoie au fameux portrait-robot des policiers.
En fin de compte, ces "airs de famille" constitués de codes et d'échanges subtils entre les individus, les milieux et les événements, c'est peut-être tout simplement ce qui contribue à l'équilibre du monde.