Titre, première phrase, on est prévenus, objectif : tuer Catherine, et pour ça une seule solution, écrire. Ecrire parce que Catherine est, justement, un personnage de fiction qui hante la narratrice. Catherine est l'esprit d'Anna Karénine, l'héroïne passionnée de Tolstoï, c'est une romantique hystérique et elle fout le bordel. Comment le spectre d'un personnage peut-il nous posséder, jusqu'à tel point qu'il faille s'en débarrasser ? Evidemment, il y a aussi un auteur : Nina Yargekov, et le texte ne cesse de jouer sur différents niveaux. Comme elle dit, c'est une matriochka, une poupée russe. Et comment ne pas être appâté par une histoire de meurtre ? C'est surtout un concert de voix, la narratrice habitée, et les habitantes de la narratrice, un choeur de muses intelligentes, drôles, bêtes, vachardes, qui n'ont précisément pas leur langue dans la poche. Elles critiquent le projet du livre, le remettent en cause, s'engueulent. La narratrice, elle, tient le cap et tente d'éliminer Catherine alors que surgissent dans le désordre amour, obsession, poésie, menaces, travaux pratiques, entracte, une journée type avec Catherine, haine, tristesse, et malices. Electre et Lady Macbeth nous font un clin d'oeil. L'intimité est décalée, le moi éclaté. Un texte est un tissu, une langue. Tout cela fait un auteur, et ici c'est elle qui le fait. Du rythme, un ton, du son. Nina, chère timide Nina, si belle croyez-moi, merci, au plaisir de vous relire. – Tu crois que c'est malin de faire une critique pareille ? Je vais te dire : trop court et y'a des trucs plombants... – Quoi ? On avait dit sérieux et léger et tout !... – Hey c''est qu'un blog, du calme, tu vas rater aucun prix. – Le glandeur on t'a pas sonné, tu nous as fait perdre assez de temps comme ça ! – Pff, c'est pas ça le problème, ça manque d'arguments, de références... – Non mais tu me vois la comparer à Ionesco et Perec ? Ou Pirandello ? Cadiot ? Tout le monde s'en fiche, on lira pas plus le bouquin, et nous on sera complètement ridicules péteux coincés là-dedans. – Etre plus poétique, une fairy queen est passée par là, t'entends poétic ! – Déjà fait le truc genre on écrit dans le même style que le bouquin, tu ferais mieux de structurer, développer, au lieu de plagier. Et c'est raté. – Tu radotes. – Toi-même ! – Dis t'as déjà bouffé une tartine de post-modernisme, monsieur CM2 ? – Allo, Le Chapelier Fou ?... SOS, faites les taire ! Envoyez les citations ! « le conditionnel présent se transforme en irréel du passé (…) sur le marché noir du passage souterrain les vieilles gitanes ne vendent plus de mots plus d'adverbes plus rien » « Elle était belle coiffée de son chapeau de paille d'Italie, les maisons de pêcheurs des années trente se vendaient à prix d'or. Elle était belle, bleue et rouge océan c'est la même couleur riant de se croire si neuve, les aventures ne font que commencer (…) à force de vent l'ardoise défraîchit les flancs, décatit les clans, dépolit les rangs et les perles marinières prises dans la tempête dévorent leurs geôliers, il ne fait pas bon décacheter les vannes elle s'est enlaidie à trop pleurer. » « J'ai froid, tellement froid. Plonge ta main dans ta poitrine et arraches-en la tumeur. (…) Je grelotte, les pingouins exténués viennent s'échouer sur la banquise. (…) Dors maintenant. Le sommeil est impossible, on m'a coupé les oreilles à la place des orteils, le français est une langue difficile. » A la fin Catherine meurt, forcément c'est un peu une tragédie. A la fin le livre s'envole. C'est une farce aussi.
15.10 2013

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