Manuele Fior, c’est l’illustrateur chez Nathan de la série pour la jeunesse Tous pirates ! (6 volumes parus). C’est aussi l’auteur multiprimé en Italie, en Suisse et en France de Mademoiselle Else (d’après Arthur Schnitzler, Delcourt, 2009) et de Cinq mille kilomètres par seconde (Atrabile, 2010, Fauve d’or au Festival d’Angoulême 2011). Et si le dessinateur italien né en 1975, qui a vécu à Berlin et à Oslo avant de s’installer à Paris, reste encore méconnu, L’entrevue pourrait changer la donne.
Il y est question, dans un futur proche (avril 2048), dans une petite ville italienne, d’un psychologue tout juste quinquagénaire, plutôt classique, déstabilisé par un accident de voiture provoqué par la soudaine apparition d’un ovni, et par son divorce à venir. Raniero est écartelé entre deux mondes. L’ancien est pathétiquement représenté par son ami chirurgien Valter et par un garagiste aux mœurs mafieuses. Le nouveau, en gestation, est promu non sans naïveté par une jeunesse en rupture rangée sous la bannière d’une « Nouvelle convention » prônant la « non-exclusivité émotive et sexuelle ». La rencontre de Raniero avec Dora, une jeune patiente de trente ans sa cadette, qui a été confrontée aux mêmes manifestations de présence extraterrestre et se passionne pour la télépathie, va achever d’ébranler le médecin.
Amour et science-fiction ? L’entrevue est un album moins simpliste et moins manichéen qu’il n’y paraît. Car Manuele Fior maîtrise un trait d’une grande liberté, étonnant de mobilité et de plasticité. Il provoque des impressions sur papier au propre comme au figuré, qui transforment sans cesse la perception du récit, déployant un univers graphique d’une réjouissante inventivité. Le dessinateur n’oublie pas qu’il est diplômé d’architecture de l’université de Venise et qu’il a d’abord exercé comme architecte avant de changer d’orientation. Non sans humour, il combine la représentation parfaitement réaliste de l’Italie profonde à une figuration plus abstraite et plus stylisée de l’alchimie des corps et des sentiments. Il y ajoute une réflexion créative avancée appliquée à la mode, aux nouveaux objets technologiques et à l’architecture. Créant des costumes et des bâtiments originaux pour accueillir son monde et ses personnages mutants, il livre une merveille de poésie graphique, drôle et onirique à la fois.
Fabrice Piault