En ancien français, tesson, venu du grec taxos via le latin, signifiait « blaireau ». C'est Sylvain qui le dit. Rien d'étonnant à ce que ce soit cet animal, son totem, qui l'ait rapproché de Vincent Munier, photographe toujours à l'affût des animaux sauvages, loups, grues, ours et blaireaux, dans ses Vosges natales. Un « bon géant », un ermite à la Giono, qui a mis, depuis des décennies, son art au service de la nature, de sa faune saccagée, massacrée, décimée : en 50 ans, environ 60 % des espèces animales ont disparu. Parmi les plus menacées, en sursis, l'une, qui fait spécialement rêver, la panthère des neiges : à peine 5 000 spécimens encore vivants sur toute la planète. Un félin mythique, qui a inspiré les plus grands artistes, Khnopff, Delacroix ou Rembrandt Bugatti. Aussi, lorsque Munier, en 2018, propose à Tesson de partir avec lui, sa fiancée Marie, cinéaste animalière, et son aide de camp Léo, ancien philosophe, en expédition au Tibet pour, il l'espère, rencontrer et photographier l'animal, l'écrivain-voyageur n'hésite pas une seconde. En dépit de sa carcasse mal rafistolée depuis son accident de 2014, qui ne lui permet pas, par exemple, de porter de lourds sacs de 20 ou 30 kg, comme ses camarades. Il en culpabilise un peu, mais se rattrape en leur faisant la conversation, de façon philosophique, ou en leur offrant, le soir au bivouac, par moins 10 degré Celsius dans la cabane, quelques beaux havanes, propices à la méditation.
Le quatuor va donc passer trois semaines sur les hauts plateaux tibétains, Qhingai, Chang Tang, jusqu'aux sources du haut Mékong, dans des lieux dont il ne donne ni les noms ni la situation exacte, lui, le géographe de formation, pour des raisons évidentes de préservation des panthères. Il ne manquerait plus que les Chinois, qui ont annexé le pays en 1951, et le colonisent méthodiquement depuis au nom du « progrès » et de la « modernité », à coups de sinisation et de train à grande vitesse reliant Pékin à Lhassa, organisent des safaris, saccageant l'un des derniers Edens de la planète, et l'un des mieux protégés par son climat extrême et sa quasi-inaccessibilité. Mais la violence de l'homme n'a pas de limites, à preuve les braconniers qui, en dépit de la prise de conscience mondiale, exterminent encore des espèces rares.
Après des yacks sauvages, des loups, des ânes sauvages, des antilopes et des pikas, les chiens de prairie locaux, Vincent, Marie, Léo et Sylvain, au terme de jours et de nuits de patience, vont finir par apercevoir, à quatre reprises, une panthère, qui se laissera complaisamment photographier avant de disparaître. Un éblouissement, bien sûr, et, pour Tesson, un choc : à ses yeux, l'animal ressemble à sa mère adorée Marie-Claude, disparue récemment. Il se remémore son enterrement, selon le rite catholique gréco-melkite, puis le restaurant grec, et le havane, pour se consoler. La philosophie ne suffit pas toujours et pourtant notre ami possède un sacré bagage. Au Tibet, il lisait le Tao, en attendant l'apocalypse annoncée si l'homme continue son œuvre funeste. Quant aux panthères, qui dorment 20 heures par jour, rêvent-elles ? « Qui sait ? », se demande Munier, dans ce fort beau livre.
La panthère des neiges
Gallimard
Tirage: 120 000 ex.
Prix: 18 EUR ; 176 p.
ISBN: 9782072822322