Brésil

Un géant en construction

Guiomar de Grammont, commissaire brésilienne, et Leonardo Tonus, conseiller littéraire du CNL, dévoilant la liste des 48 auteurs brésiliens invités au Salon du Livre 2015. - Photo Manon Quinti/LH

Un géant en construction

Parmi les principaux pays émergents avec la Chine, le Brésil est l’invité d’honneur de la Foire de Francfort, du 9 au 13 octobre. Son secteur éditorial en plein essor entend profiter de l’occasion pour démontrer son potentiel et sceller de nouvelles alliances. Une opportunité aussi pour l’édition française.

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Par Mylène Moulin
Créé le 11.10.2013 à 19h48 ,
Mis à jour le 09.04.2014 à 17h41

Du Brésil on connaît le trio foot-samba-caïpirinha, le 3-0 de 1998, la capoeira et les tout petits bikinis de Copacabana. Au-delà des clichés, le pays de Jorge Amado est depuis une dizaine d’années au centre de l’attention mondiale pour d’autres raisons. Parmi les principaux pays émergents aux côtés de la Chine, le géant sud-américain est passé au travers des mailles de la crise économique et financière qui secoue la planète depuis 2008, et affiche une croissance et un enthousiasme insolents (voir encadré ci-contre). Les politiques sociales mises en place par les présidents successifs (Lula, puis Dilma Roussef) ont permis l’apparition d’une nouvelle classe moyenne au pouvoir d’achat plus élevé, et favorisé l’accès à l’éducation, à la culture et au livre, malgré des inégalités sociales et culturelles encore criantes. C’est donc un invité d’honneur plein de vitalité que recevra pour la seconde fois la Foire internationale du livre de Francfort, du 9 au 13 octobre. Un invité déterminé à montrer qu’il a radicalement changé depuis sa première invitation en 1994.

A l’époque, moins de dix ans après la fin de la dictature militaire, l’édition et le marché du livre brésiliens en étaient encore à leurs balbutiements. Des initiatives comme la loi du Livre de 2003 et le plan national du livre et de la lecture ont depuis permis de renforcer le secteur et d’encourager l’éclosion d’une nouvelle génération de professionnels, même si le prix du livre n’est toujours pas réglementé.

 

Un énorme potentiel

 

Avec près de 200 millions d’habitants et un taux d’alphabétisation de 89 %, le Brésil est un grand réservoir de lecteurs potentiels. La croissance spectaculaire de la classe moyenne, qui représente aujourd’hui plus de 105 millions de personnes, ouvre de nouveaux horizons à un marché du livre qui espère capter l’attention de ce pan de la population dont le pouvoir d’achat augmente. « Notre marché a un potentiel accumulé énorme : le marché de la consommation brésilien change, l’analphabétisme fonctionnel est en baisse, et le nombre d’universités et d’étudiants a doublé depuis le début du siècle », s’enthousiasme le journaliste et éditeur Carlo Carrenho, fondateur du magazine professionnel en ligne PublishNews (voir encadré p. 71). Avec 58 192 titres publiés en 2011 et un chiffre d’affaires de 2 milliards d’euros, l’édition brésilienne est devenue l’une des plus dynamiques d’Amérique latine. Dans une étude réalisée en 2012, l’Union internationale des éditeurs situait le Brésil au 9e rang des puissances éditoriales mondiales. Cette année, trois éditeurs scolaires brésiliens - Abril Educaçao, Saraiva et Editora FTD -, affichant chacun un chiffre d’affaires supérieur à 150 millions d’euros, se sont imposés dans notre classement annuel Livres Hebdo de l’édition mondiale (1).

Dans le scolaire comme ailleurs, le gros des ventes n’est cependant pas réalisé sur le marché privé, mais à travers le canal institutionnel. Les achats gouvernementaux soutiennent en effet l’économie du livre au Brésil. De nombreux éditeurs avouent qu’ils ne pourraient pas survivre sans eux. Petits et gros se lancent ainsi chaque année dans une course effrénée pour « placer » quelques-uns de leurs ouvrages sur les listes du gouvernement. Pour ceux qui y parviennent, c’est le jackpot assuré puisque les commandes peuvent atteindre les 100 000 exemplaires au titre.

Quatre groupes dominent actuellement le marché brésilien : Record, Saraiva, Ediouro et Sextante. Protégé par sa langue, le portugais, il a échappé jusqu’à présent à l’arrivée massive de grands groupes internationaux déjà implantés dans tous les pays hispanophones d’Amérique latine. Mais la situation pourrait rapidement changer : alléchés par le dynamisme du pays et les perspectives offertes par les ventes institutionnelles, de grands noms étrangers s’y installent progressivement, notamment dans le secteur scolaire, poids lourd du marché. « Notre pays est en train de devenir une espèce d’eldorado pour les éditeurs étrangers qui viennent y chercher le rêve brésilien », constate Eliana Sà, fondatrice des éditions du même nom et codirectrice de la Ligue brésilienne des éditeurs (Libre). Une dizaine d’acteurs internationaux se sont ainsi implantés au cours des dix dernières années, dont Pearson, Larousse, Elsevier-Campus, les éditions SM, etc. L’espagnol Prisa-Santillana a racheté Moderna (scolaire) et acquis 75 % de l’éditeur généraliste Objetiva. En 2011, Penguin est entré au capital de la prestigieuse maison généraliste Companhia das Letras. D’autres groupes étrangers tels que l’espagnol Planeta, les portugais Leya et Babel, et le britannique Oxford University Press ont ouvert leurs propres filiales et publient directement en portugais. Dans le secteur religieux, l’américain Thomas Nelson s’est récemment associé avec Ediouro pour éditer des livres de développement personnel et de spiritualité.

 

À l’assaut du grand public

 

A côté du scolaire, la littérature grand public et la jeunesse sont les principales pistes de développement de l’édition au Brésil. Pour répondre à l’élargissement du lectorat, les éditeurs ont lancé de nouvelles marques leur permettant de diversifier leur production. Companhia das Letras a ainsi lancé trois nouveaux labels destinés à la fiction commerciale et à la jeunesse entre 2012 et 2013. « Ces collections ont vocation à héberger des livres distrayants, plus légers que ceux de notre catalogue principal. Cela devrait nous permettre de capter de nouveaux lecteurs et de gagner des parts de marché », explique Otávio Marques da Costa, directeur éditorial de ce « Gallimard brésilien ». Autre éditeur traditionnellement connu pour l’exigence de son catalogue, Martins Fontes s’est peu à peu ouvert à d’autres horizons, toujours dans la non-fiction, dans le but d’élargir son public. En jeunesse, autre secteur en plein boom, les éditeurs spécialisés et les grands groupes sont rejoints par de nombreux éditeurs généralistes de taille moyenne qui ont ouvert leur catalogue à la jeunesse, tels Jorge Zahar Editora, Cosac Naify, Editora Objetiva ou Casa da Palavra. Avec une population composée à plus de 50 % de moins de 30 ans, le Brésil offre en effet au marché du livre jeunesse de belles perspectives de développement.

Confrontés à une production de plus en plus dense, les petites maisons d’édition font quant à eux le choix de se positionner sur des niches éditoriales. Spécialiste de la culture afro-brésilienne depuis trente-cinq ans, Pallas a réussi à se maintenir en ne publiant que des livres en rapport avec son domaine de compétences. «Nous avons été les premiers à publier des ouvrages en rapport avec cette question au Brésil. Même si nous avons diversifié nos activités, nous sommes restés concentrés sur notre ligne éditoriale et nous sommes toujours là !» se félicite Mariana Warth, directrice de Pallas.

En sciences humaines et sociales (SHS), par exemple, les éditeurs n’hésitent pas à s’embarquer sur des projets de niches confidentiels mais recherchées comme les titres sur le Moyen Age, les ouvrages d’histoire couplés à des thèmes tels que l’alimentation, le patrimoine, la transformation sociale et urbaine, l’éthique, l’économie et le travail. Sur ces segments, les traductions sont très prisées par les éditeurs. Des auteurs comme Viviane Forrester, Olivier Mongin ou Françoise Choay bénéficient d’un très bon accueil auprès d’un lectorat restreint mais fidèle.

 

Achats de droits

 

De plus en plus friand de littérature étrangère, le Brésil est le premier pays acheteur de droits français en Amérique latine. En 2012, 404 contrats ont été signés entre éditeurs français et brésiliens - un record. A la Companhia das Letras, on estime à 60 % la part des traductions dans le catalogue. Chez l’éditeur de sciences humaines et d’art Cosac Naify, cette proportion grimpe à 70 %. Le tirage moyen d’une traduction n’est toutefois que de 4 083 exemplaires, soit moitié moins que le tirage moyen des livres au Brésil.

Ce pays traducteur cherche à présent à exporter sa production, peu diffusée à l’étranger. La fondation Bibliothèque nationale a mis en place un plan de grande ampleur visant à promouvoir la littérature brésilienne dans le monde et à renforcer la présence des œuvres brésiliennes dans les catalogues des maisons étrangères. Le programme distribuera 5,7 millions d’euros de subventions sur dix ans, dont 1,5 million d’euros entre 2011 et 2013. A destination des éditeurs non lusophones, la fondation Bibliothèque nationale a également mis en place le magazine Machado de Assis, qui présente chaque trimestre 20 extraits en anglais et en espagnol d’ouvrages d’auteurs brésiliens contemporains.

Afin de dynamiser les échanges de droits, la Chambre brésilienne du livre a de son côté lancé en partenariat avec Apex-Brasil, l’Agence brésilienne de promotion des exportations et des investissements, le programme Brasilian Publishers. Celui-ci vise à vivifier l’exportation du contenu éditorial brésilien à travers l’incitation à la vente de droits, la participation aux foires internationales et la formation de ses membres à la négociation commerciale.

 

Librairies sinistrées

 

Si l’édition brésilienne a tout pour devenir un grand acteur de l’édition mondiale, elle doit avant tout régler de gros problèmes structurels qui ralentissent son évolution. La carence de lecteurs d’abord : la consommation de livres au Brésil est l’une des plus faibles au monde avec 1,85 livre lu par habitant et par an. Bien qu’en croissance, le lectorat se résume encore à une élite. Autre frein au développement de l’industrie éditoriale, le réseau de distribution calamiteux. Dans ce pays de la taille d’un continent, l’absence de réseau ferroviaire et l’inexistence de plateformes nationales de distribution sont les principaux obstacles à la bonne circulation des livres. Même si celles-ci restent le canal de vente principal (45 % des ventes de livres hors marché gouvernemental), le Brésil compte peu de librairies (voir encadré chiffres p. 69). Les petites librairies ont presque disparu, tandis que les chaînes redessinent peu à peu le paysage.

Le commerce en ligne gagne également du terrain, concentrant près d’un quart des ventes. « Le Brésil est un pays absolument approprié pour la vente en ligne », estime Alexandre Martins Fontes, directeur de la maison d’édition éponyme, qui possède également des librairies et une structure de distribution. Entre janvier 2012 et janvier 2013, les ventes de la librairie Martins Fontes sur la Toile ont augmenté de 41 %. Les commandes viennent généralement de régions où les librairies sont quasi inexistantes, comme l’Amazonie.

 

Effervescence numérique

 

Libéré des contraintes géographiques, le numérique se présente dès lors comme une solution aux carences de la distribution au Brésil. « Les Brésiliens aiment la technologie, les tablettes, les iPhone, les iPad, etc. Si les éditeurs réussissent à s’adapter rapidement, je crois que l’industrie du livre pourrait faire un grand bon en avant très bientôt », espère Carlo Carrenho. En 2011, 5 200 titres numériques ont été lancés au Brésil, soit 9 % des ouvrages publiés. Même si pour le moment l’édition numérique ne représente que 0,4 % à 1 % du chiffre d’affaires de l’édition, selon les évaluations de PublishNews, les maisons d’édition s’engouffrent la tête la première dans cette voie. Les gros éditeurs publient leurs nouveautés simultanément en papier et en numérique. De leur côté, les éditeurs universitaires proposent déjà de très nombreux inédits en versions numériques. Parmi les plateformes de distribution existantes, se démarquent DLD, créée par Objetiva, Record, Sextante, Rocco, Planeta, L&PM, Novo Conceito, et Xeriph, fondée par l’homme d’affaires Carlos Eduardo Ernanny. Côté librairies, on peut mentionner le pure player Gato Sabido, Mundo Positivo, IBA et les boutiques des chaînes Cultura, Curitiba, Leitura, Fnac, Livraria da Travessa et Saraiva. L’arrivée en fin d’année 2012 sur le marché brésilien de Kobo, vendu dans les librairies Cultura, puis de Google, d’Apple et d’Amazon, dont le Kindle est disponible en exclusivité chez Da Vila, a accéléré la cadence. Et redéfini les règles du jeu numérique désormais dictées au Brésil par de gros acteurs étrangers.

(1) LH 959, du 21.6.2013, p. 12-21.

France-Brésil en chiffres

Le marché brésilien en chiffres

• Population. Près de 200 millions d’habitants répartis sur 8,5 millions de km2 (16 fois la France), dont 84 % concentrés dans les agglomérations. Moyenne d’âge : 27 ans ; taux d’alphabétisation : 89 %.

• Economie. 6e puissance économique mondiale, partie prenante des Brics (1), le Brésil jouit depuis 2000 d’une belle santé économique même si son taux de croissance baisse depuis deux ans (3 % en 2012, contre 7,5 % en 2010). L’an dernier, l’inflation a atteint 6 % (France : 1,1 %). Salaire minimal brut : 678 reals (218 euros) ; taux de chômage : 6 % (France : 10,4 %).

• Edition. 734 maisons d’édition, dont 500 avec une activité régulière. 58 192 titres et 499 millions d’exemplaires produits en 2011, dont une grande majorité de manuels scolaires et d’ouvrages pour la jeunesse. Tirage moyen : 8 500 exemplaires. En 2011, le chiffre d’affaires du secteur a atteint les 2 milliards d’euros (+ 7,3 % en données brutes, + 0,8 % en volume). Les ventes directes aux institutions publiques et au gouvernement représentent 29 % du chiffre d’affaires global.

• Librairie. 3 481 librairies, soit une pour 56 305 habitants. Concentrées à São Paulo et Rio de Janeiro, elles sont quasi inexistantes dans le nord du pays. Sept chaînes se partagent 60 % du marché. La plus importante, Saraiva, compte 102 points de vente. La Fnac est présente dans les mégapoles.

• Bibliothèques. Environ 4 700 bibliothèques publiques. 4 établissements pour 100 000 habitants dans le sud du pays, contre 2 pour 100 000 au nord). Budget d’acquisition faible.

 

(1) Les grands émergents : Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud.

Sources: Institut brésilien de géographie et statistiques (IBGE), Chambre brésilienne du livre, Foire de Francfort. Pour en savoir plus, voir les études «L’édition au Brésil», par Karen Politis, Bief, 2013, et « L’édition de sciences humaines et sociales et de religion au Brésil », par Mylène Moulin, Présence du livre français, 2013.

PublishNews : Un Livres Hebdo à la brésilienne

Photo OLA KJELBYE

A São Paulo, Carlo Carrenho donne rendez-vous à la boulangerie-café Au pain quotidien, balbutie quelques mots en français et assure : « j’adore Livres Hebdo ». Cet éditeur et journaliste brésilien, diplômé en économie, formé à l’édition à Boston est le fondateur de PublishNews, un bulletin électronique quotidien sur le marché de l'édition au Brésil. Il est par ailleurs partenaire de Livres Hebdo pour la publication au Brésil de son classement annuel de l'édition mondiale. (1). Devenu incontournable pour les professionnels brésiliens du livre, cet outil a vu le jour en 2001, un peu par hasard. « A l’époque, je venais de fonder une petite maison d’édition et je travaillais en parallèle dans une agence de presse. J’ai eu envie de tenir un blog sur l’actualité de l’édition, un secteur qui me passionnait. Ça a commencé comme un passe-temps, une espèce de jeu avec mes autres copains éditeurs », se souvient Carlo Carrenho. Le journaliste commence par envoyer les informations qu’il compile sur le marché du livre à une dizaine de personnes par mail. Petit à petit, le rituel devient quotidien et la diffusion s’élargit. Deux ans plus tard, Carlo Carrenho reçoit un coup de fil d’un distributeur de livres qui lui offre la possibilité d’utiliser sa plate-forme et d’accéder à sa liste de contacts. Une aubaine qui permet à PublishNews de se positionner face aux médias traditionnels grand public qui couvrent plutôt bien le secteur, et de s’imposer dix ans plus tard comme le leader. « Face à la disparition progressive des cahiers culturels dans les grands journaux, nous avons décidé de publier notre propre contenu, d’améliorer et de professionnaliser notre agence de presse, explique Carlo Carrenho. Nous sommes finalement devenus la source d’information la plus importante pour le marché de livre brésilien, notamment parce que nous nous sommes toujours concentrés sur l’aspect économique de l’édition, et pas sur la littérature ou les arts. »

Aujourd’hui, la newsletter de PublishNews compte 11 000 abonnés. Parallèlement, l’éditeur-journaliste a lancé, en partenariat avec le périodique américain Publishing Perspectives, le site Web d’information en anglais PublishNews Brazil (http://publishnewsbrazil.com/), qui compte 2 500 visiteurs uniques par jour. En 2013, Carlo Carrenho a commencé à publier des classements hebdomadaires, mensuels et annuels des meilleures ventes de livres. Il est le seul au Brésil à réaliser ce travail indispensable pour prendre le pouls du marché local.

(1) Voir notamment LH 959, du 21.6.2013, p. 12-21.

Moins francophone, toujours francophile

Sa devise « Ordem e progresso » (ordre et progrès) s’inspire du positivisme du philosophe Auguste Comte. Dans ses symboles comme dans son histoire, le Brésil entretient de longue date un lien privilégié avec la France, même s’il se détourne peu à peu de sa langue. Longtemps chouchou de l’élite brésilienne, le français est aujourd’hui concurrencée par l’anglais et l’espagnol, dont l’enseignement est obligatoire dans les écoles depuis 2005. Mais avec 570 000 francophones, une communauté française estimée à 25 000 résidents, et 300 000 apprenants du français, « la francophilie reste vivace », assure Marion Loire, du Bureau du livre à Rio. Le Brésil est d’ailleurs le deuxième client des éditeurs français en Amérique latine. Sur la période 2005-2010, les exportations de livres français vers ce grand pays lusophone ont crû de + 61,5 %. L’an dernier, selon les statistiques douanières retraitées par la Centrale de l’édition, les exportations françaises au Brésil ont reculé de - 7,2 %, mais, en moyenne lissée sur trois ans, la progression s’inscrit toujours à + 4,3 % (voir graphiques p. 68).

La perspective de la Coupe du monde de football, l’an prochain au Brésil, et des jeux Olympiques en 2016 à Rio de Janeiro devrait encore stimuler les ventes, selon les libraires, qui constatent une demande croissante d’apprentissage en langues étrangères. Dans les principales mégapoles du pays, les grandes librairies proposent des ouvrages en français dans les domaines littéraires ou artistiques, en sciences humaines et sociales ainsi qu’en jeunesse. Deux librairies sont même spécialisées : la Livraria francesa à São Paulo, et Leonardo da Vinci à Rio de Janeiro. La première, fondée en 1947 et dirigée par Sylvia Monteil, dispose de deux points de vente, avec plus de 100 000 titres en français. Elle importe en majorité des livres scolaires et des méthodes de FLE. Liée au milieu intellectuel carioca, la librairie Leonardo da Vinci, gérée par Milena Duchiade, est quant à elle la tanière francophone des penseurs brésiliens et étrangers depuis sa création, en 1952.

Haroldo Ceravolo : « L’évolution du marché est défavorable aux éditeurs indépendants »

 

Le président de la Ligue brésilienne des éditeurs (Libre), directeur de la maison d’édition Alameda, milite pour l’instauration du prix unique du livre.

 

(1) Au Brésil, les grands libraires louent temporairement ou vendent de manière définitive des espaces (vitrines, tables, têtes de gondole) aux éditeurs à des tarifs élevés. Seuls les livres des éditeurs qui ont de gros moyens sont ainsi mis en avant dans ces enseignes.

Photo MYLÈNE MOULIN

Des bibliothèques contre la violence

 

Né en Colombie dans les quartiers défavorisés, le concept de « bibliothèque-parc » a essaimé au Brésil. Rio de Janeiro en compte trois, dont la plus récente s’est ouverte en 2012 au cœur de Rocinha, la plus grande favela du pays. Reportage.

Erigée au cœur de la plus grande favela de Rio de Janeiro, la bibliothèque-parc de Rocinha est un lieu d’expression et de loisirs pour les habitants de la communauté. - Photo MYLÈNE MOULIN

De la terrasse, on aperçoit l’océan, la plage interminable bordée d’hôtels de luxe et la forêt qui enserre la ville. Un cadre idyllique qui tranche avec la réalité immédiate : bâtiments délabrés construits à même le flan de la montagne, route sinueuse et engorgée, mobylettes folles, labyrinthe de ruelles sales et noircies, détritus qui s’entassent. C’est là, à Rocinha, bastion du trafic de drogue « pacifié » en 2012, qu’a été inaugurée il y a un peu plus d’un an une bibliothèque-parc, la troisième en son genre au Brésil.

Né en Colombie, ce concept pose la culture comme une valeur essentielle capable de contribuer à réduire les indices de violence. Symboles de la transformation urbaine et sociale, ces bibliothèques sont pensées dans l’optique de l’intégration et de la participation des habitants. « Cette notion est essentielle dans les favelas : ici l’exclusion est une réalité. Nous devons proposer un espace que la communauté puisse s’approprier : c’est-à-dire un lieu beau, utile, ouvert et qui s’intègre au tissu local », explique Daniele Ramalho, la directrice de la bibliothèque-parc de Rocinha. Construit sur cinq étages au cœur de la plus grande favela de Rio de Janeiro, ce centre culturel de 1 600 mètres carrés héberge auditorium, studio de montage, cyberespace avec 48 ordinateurs et 12 notebooks, salles de conférence, école de cuisine, café littéraire, coin vidéo et bibliothèque.

 

 

Les langages de la communauté

Ici pas de tyrannie du silence mais des rencontres, du partage, des rires. Dans la pièce « jeunesse », un groupe d’enfants joue et lit sous le regard d’une éducatrice. Plus loin un ado est assis au sol, entouré de mangas. Dans l’escalier on croise une famille de Rocinha venue « admirer la vue d’en haut sur la favela ». Pendant ce temps, au rez-de-chaussée, un couple de jeunes gens enlacés regarde un film, casque vissé sur les oreilles. Lire, écrire, regarder, toucher, danser, parler. Dans les bibliothèques-parcs, ce sont les langages qui comptent, et l’expression par les mots, qu’ils soient écrits ou dits. En quelques mois de fonctionnement, la bibliothèque a déjà rassemblé de nombreuses initiatives culturelles nées sur le territoire, portées par la communauté de Rocinha. « La plupart des histoires qui se déroulent ici ont commencé avant nous, certains projets ont déjà trente ans d’existence. Nous mettons seulement à leur disposition des équipements culturels de qualité pour développer leur travail », rappelle Daniele Ramalho.

 

 

74 000 visiteurs en quinze mois

En quinze mois, Rocinha a vu passer 74 000 personnes, en majorité des jeunes. A peine 3 000 inscriptions ont été recensées et 8 000 livres prêtés. Le travail d’accueil est essentiel pour familiariser les visiteurs. Parmi les employés, plusieurs ont grandi à Rocinha ou travaillaient auparavant dans la médiation sociale. La directrice elle-même présente un profil atypique. Productrice culturelle, conteuse, spécialisée dans les questions de diversité culturelle, de lecture et de technologie, elle apporte un regard neuf et une appréhension du public différente. Cela ne l’empêche pas de mener une politique de travail orientée sur le livre. « On ne doit pas oublier que le cœur de notre travail, c’est la lecture. On se demande constamment comment inviter notre public à lire. On use de stratégies ludiques, on ruse : on laisse des livres en évidence sur un coin de table pendant un atelier, on propose d’attendre que l’ordinateur se libère avec un livre à lire, on met en place des ateliers pour apprendre le portugais… », détaille Daniele Ramalho.

Le fonds, composé de 13 000 volumes, mêle culture érudite et populaire. Entre les classiques de la littérature, la philosophie, les sciences politiques, l’écologie, les livres d’art et la littérature jeunesse, on trouve les livres publiés par des auteurs de Rocinha et d’autres favelas. Dans cette bibliothèque-parc, seul le vigile à l’entrée et les policiers en patrouille dans la rue rappellent la spécificité de son implantation. « Nous n’avons pas de problèmes avec les habitants de la favela. L’endroit est respecté car le projet a été mené en accord avec la communauté : il a fallu huit ans de négociations entre la population et le gouvernement de l’Etat de Rio avant que la bibliothèque voie le jour », raconte la directrice. Elle l’assure : tant que la bibliothèque remplira son rôle de rapprocheur de culture et écoutera ce que ses usagers ont à lui transmettre, tout ira bien.

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