Le décès d'Anastasia Lester, disparue le 19 juin, émeut le monde du livre. En l'honneur de l'agente littéraire fondatrice de Lester Literary Agency & Associates, Solène Chabanais, directrice des droits étrangers chez Albin Michel et présidente de la commission internationale du SNE, et Nicolas Roche, directeur général du Bureau international de l’édition française (Bief), nous font parvenir ce texte.
L'hommage de Solène Chabanais et Nicolas Roche à Anastasia Lester :
"Il est sans doute difficile de trouver dans nos métiers de vente de droits une personnalité qui aura fait autant l’unanimité qu’Anastasia Lester. Anastasia, la grande agente qui aura fait pendant vingt ans le pont entre la France et l’est de l’Europe. Né à Moscou avant la chute du Rideau de fer, ayant appris le français très jeune, elle obtient un Master en journalisme à l’Université d'État Lomonossov de Moscou puis un DEA en littérature générale et comparée à la Sorbonne. Anastasia commence - comme beaucoup - par des stages : Père Castor avec Cécile Terouanne puis chez Plon auprès d’Ivan Nabokov, Sylvie Audoly et Alice Saint Guilhem pour la littérature étrangère, notamment pour l’emblématique collection « Feux croisés ». Bel éclectisme !
En 1999, elle fonde son agence. Elle est partout, sur toutes les foires, sur tous les fronts. Son projet d'origine c'était de vendre surtout les auteurs russes en France - ce qu'elle a toujours continué de faire pendant toute sa carrière en collaborant avec Wiedling Literary Agency à Munich ou encore Banke-Goumen-Smirnova Agency en Russie. Elle s'est rapidement rendu compte que les éditeurs français cherchaient à améliorer la promotion des éditeurs français en Russie, en Ukraine et en Biélorussie. L’agence a alors commencé à promouvoir les auteurs français, tout autant des classiques (Françoise Sagan, Maurice Druon, André Maurois, Boris Vian, Henri Troyat, Alain Robbe-Grillet…) que des dizaines d’auteurs contemporains de littérature de renommée internationale (Anna Gavalda, Bernard Werber, Franck Thilliez, Michel Bussi, Marc Levy, Guillaume Musso, Jean-Christophe Grangé, Jean-Michel Guenassia, Christian Jacq, Agnès Martin-Lugand, Guillaume Musso, Amélie Nothomb, Éric-Emmanuel Schmitt, Didier Van Cauwelaert, etc.) On pourrait citer bien des Prix Goncourt qui ont grâce à elle été traduits : Jean-Paul Dubois, Jean Echenoz, Mathias Enard, Nicolas Mathieu, Pierre Lemaître, Laurent Gaudé, Éric Vuillard… Mais Anastasia s’intéressait à tout : non-fiction, livres pour enfants, livres pratiques, beaux livres… Ce n’était pas une question d’appétit mais d’intérêt.
Dans tous les domaines, on pourrait citer autant d’auteurs et d’illustrateurs heureux d’avoir pu être traduits à l’est. Anastasia avait également à cœur d’accompagner au mieux les professionnels et auteurs français lors de leur séjour en Russie à l’occasion des salons –et des rencontres. Son extrême professionnalisme, son efficacité et sa bienveillance étaient admirables. En 2015, l'agence passe un cap quand Anastasia propose à Laura Karayotov de la rejoindre pour travailler sur d’autres territoires en Europe centrale et en Europe de l’Est, en s’ouvrant aussi sur les pays baltes. Avec Laura, elle partage la même vision du métier : travailler dur, ne faire aucune promesse qu’on ne peut tenir (Anastasia disait souvent « on n’est pas magiciennes ! »), aller à la rencontre des gens, chercher sans cesse l’éditeur qui fera les meilleurs efforts pour défendre un auteur. Associées en 2019, Anastasia et Laura forment une équipe formidable alors même que les nuages commencent à s’amonceler. Malgré la difficulté à voyager dès mars 2020 et, plus récemment bien sûr, le terrible choc de la guerre en Ukraine, Anastasia - et désormais Laura - ont cherché toutes les voies possibles pour que les œuvres puissent continuer à voyager. Mais bien sûr Anastasia était bien plus qu’une agente. Au fil des années se sont tissés des liens d’amitié avec beaucoup d’entre nous. Certains sont allés à son mariage dans la petite église russe en bois de la rue Lecourbe, d’autres (beaucoup d’autres) ont expérimenté les discussions enflammées rythmées par les toasts rituels dans la nuit moscovite. Amie, agente… avec Anastasia, oui, il n’y avait plus de frontières."
De Solène Chabanais et Nicolas Roche