Il y a dans l’histoire de la littérature des pas de côté, des petits bijoux plus ou moins bien cachés, qui condensent parfois en quelques pages une œuvre tout entière et parfois l’exhaussent ou lui donne un éclairage autre et plus profond. Ce sera Baleine de Paul Gadenne, Notre besoin de consolation est impossible à rassasier de Stig Dagerman, Un Noël de Truman Capote ou La fêlure de Fitzgerald. Entre pas mal d’autres, certainement. "Prophétie", la première des quatorze nouvelles qui composent le recueil du Toscan Sandro Veronesi, Un coup de téléphone du ciel, est de cette nature. Dans une langue comme enfiévrée d’elle-même, on y suit l’auteur de Chaos calme (Grasset, 2008, prix Femina étranger) au chevet de son père mourant ; mourant et refusant de s’y résoudre, mourant et repoussant avec une belle énergie toute consolation autre que la morphine et deux ou trois souvenirs, comme autant d’esquifs emportés par la tempête. Une maquette de bateau, le chapeau de Frank Lloyd Wright lors d’un séjour à Milan… Un père s’en va, un fils l’accompagne et il n’est pas acquis que ce compagnonnage ait un quelconque sens pour l’un ou pour l’autre. N’ayons pas peur des mots, ni de choquer ceux pour qui l’enthousiasme est une mauvaise manière, ce texte de Veronesi (qui résonne curieusement en ces temps de débat sur l’euthanasie) est un chef-d’œuvre.
Est-ce à dire que les treize autres qui composent le volume souffrent naturellement de son voisinage ? Pas tant que cela en vérité, puisque même si leur intensité est incomparable, ils sont autant de fugues le long d’une identique ligne de front : la famille et ses guerres, l’enfance de l’art et l’apprentissage du chagrin. Veronesi y aligne autant de petites mélancolies navrées où la tristesse mais aussi un humour discrètement sarcastique prennent leurs aises. On songe ici et là aux tragédies middle class d’un John Cheever ou, plus près de nous, au lyrisme sourd des premiers livres de Marco Lodoli. On est donc en bonne compagnie pour crever de solitude.
Olivier Mony