10 avril > Essai France

Parmi les opposants au mariage pour tous, chacun avait ses raisons, mais avancer la thèse de l’union entre un homme et une femme comme seule garante de la famille est pour le moins curieux… En 2012, 55,8 % des naissances en France se produisent hors mariage. Dans une société fortement laïcisée le lien entre couple et enfants n’est du reste pas obligé. Virginité, contraception, concubinage, divorce… Il y a belle lurette que, même parmi les croyants, les préceptes de l’Eglise en matière de morale conjugale ne sont plus suivis à la lettre. En 1917 le Code de droit canonique stipule que "la fin principale du mariage est la procréation et l’éducation des enfants ; sa fin secondaire est l’aide mutuelle des époux et l’apaisement de la concupiscence". A l’aube du XXIe siècle, le plaisir, loin d’être entaché de la notion de péché, est partout assumé. Alors comment du condamnable "égoïsme à deux" est-on arrivé au droit à la relation amoureuse épanouie ? Bien sûr, le "jouir sans entraves" de Mai 1968 est passé par là, avec ses mouvements de libération féministe, homosexuelle… Mais le chamboulement n’a pas eu lieu du jour au lendemain, ces prémices se sont fait déjà sentir dans les années 1950. Brigitte Bardot avait choqué en 1956 dans Et Dieu créa la femme de Roger Vadim, en incarnant une sensualité féminine parfaitement affranchie, sa danse mambo suggestive avait été qualifiée dans la presse de "pornographie certaine".

Blandine Pénicaud et Vincent Vidal-Naquet dans Les révolutions de l’amour font démarrer le bouleversement des mœurs françaises à la Grande Guerre. C’est que la première moitié du siècle dernier atteste "le recul silencieux des interdits". Mariage d’amour plutôt qu’arrangé : c’est l’attraction réciproque qui va l’emporter ; vision d’un corps libéré : la pudeur cède le pas à l’expression des sentiments. A partir de 14-18, le baiser est popularisé par les affiches, les cartes postales ou le cinéma hollywoodien (le fameux "baiser américain"), alors qu’en 1881 un juge avait condamné pour attentat à la pudeur un couple qui s’était embrassé en public. Si la nudité exposée reste liée à la maison close, dans l’intimité de l’alcôve "certaines pratiques [buccales, centrées sur la recherche du plaisir], qualifiées jusque-là d’obscènes, deviennent simplement osées et se banalisent".

Il y eut certes des tentatives de moralisation avec les lois dites "scélérates" dans les années 1920 contre l’avortement puis une restauration puritaine sous le régime de Vichy (le maréchal Pétain avait imputé la défaite à "l’esprit de jouissance" régnant dans les Années folles), mais rien ne pourra empêcher l’avènement de l’individu revendiquant son droit au plaisir. La liberté sexuelle a mué en ultralibéralisme du désir, les auteurs analysent dans la dernière partie de l’ouvrage la rencontre en ligne : Meetic, AdopteUnMec.com et autres sites, et ces rapports homme-femme qui n’échappent pas non plus à la loi du marché.

S. J. R.

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