"Moins exceptionnel", mais exceptionnel tout de même. En décembre 2021, l'activité globale en librairie a chuté de 14% par rapport à la même période l'année précédente selon le Syndicat de la librairie française (SLF). "Mais il faut surtout y voir le caractère extraordinaire de décembre 2020 après le second confinement et les débats autour des librairies qui ont fait bondir la fréquentation", juge Guillaume Husson, délégué général du syndicat. De fait, l'activité est en hausse de 21% par rapport à décembre 2019. "Et sur l'ensemble de l'année 2021, les librairies finissent à + 20,4% par rapport à 2020, c'est du jamais vu", observe-t-il.
Un contraste marquant
Parmi les libraires interrogés, le contraste a toutefois marqué. "Entre 2021 et l'année d'avant, c'est le jour et la nuit !", estime Christophe Lenain, créateur de la librairie Hayaku Shop à Paris, qui évoque "un mois plutôt basique" avec "une clientèle en hésitation sur les cadeaux" compte tenu des incertitudes liées à la pandémie.
Dans le XXe arrondissement parisien, l'activité de L'Atelier a baissé de -12% par rapport à décembre 2020. "Ça reste un bon mois, mais on ne l'a pas vécu comme tel parce qu'on avait l'année précédente dans les pattes et qu'on s'était beaucoup organisés, en renforçant notamment les équipes", détaille Natacha de la Simone, responsable du magasin.
Chez certains, plus rares, comme Momie Kids, à Lyon, la tendance est inverse. "Les gens étaient clairement au rendez-vous, mais ces résultats sont biaisés par le fait qu'entre 2020 et 2021, on a ouvert deux boutiques en plus", précise Pedro Favier.
Mesures de MDS : un impact économique "marginal"
Malgré les retards de livraison durant la période pré-fêtes et la grogne des libraires, les mesures annoncées par MDS, le distributeur du groupe Media-Participations qui a suspendu les commandes inférieures ou égales à deux exemplaires jusqu'au 27 décembre, ont eu un "impact économique marginal" selon Guillaume Husson.
Un sentiment partagé par la plupart des professionnels interrogés. "On avait été prévenus depuis longtemps, donc on avait fait des stocks très conséquents. Les clients ont été très compréhensifs ! Nous avons simplement reporté nos conseils vers d'autres séries", retrace Pedro Favier de la librairie jeunesse Momie Kids.
"Plus de 35% de nos ventes se font sur des titres qu'on vend par 1 à 3 exemplaires par mois. En librairie indépendante, c'est ça qui fait notre chiffre d'affaires", souligne Natacha de la Simone de L'Atelier, où plusieurs commandes n'ont pas pu être prises ou honorées. "Cela a sans doute aussi affecté les "petits" éditeurs", ajoute-t-elle.
Pour Guillaume Husson, l'épisode de crise avec MDS "a surtout eu un impact commercial". "Quand on annule des commandes, les clients imputent ça aux librairies, pas aux distributeurs dont ils ignorent souvent tout", plaide-t-il.
La bande-dessinée, reine des fêtes
Dans le détail, les achats de Noël ont fait la part belle à la bande dessinée (qui progresse de +68% en valeur sur l'ensemble de l'année 2021 par rapport à 2020), au pratique (+32% par rapport à 2020), ainsi qu'à la littérature et aux beaux-arts (entre +15% et +20%). A L'Angle rouge, une librairie coopérative créée à Douarnenez en septembre 2020, la BD a ainsi représenté 30 à 35% du chiffre d'affaires pendant les fêtes, notamment grâce à des titres comme La jeune femme et la mer de Catherine Meurisse (Dargaud), Le droit du sol d'Etienne Davodeau (Futuropolis) , ou encore le dernier Fabcaro.
Même raz-de-marée à La Nuit des temps, une jeune librairie rennaise connue pour sa tonalité féministe et écologique, où Les Strates de Pénélope Bagieu (Gallimard), et Le monde sans fin de Christophe Blain et Jean-Marc Jancovici (Dargaud) , se sont arrachés. "Dans les 15 meilleures ventes de décembre, il y a le Goncourt, Réinventer l'amour de Mona Chollet, et sinon, ce n'est que de la BD", abonde Natacha de la Simone de L'Atelier.
L'emballement "citoyen" pour la librairie se confirme
Si en décembre 2020, la mise en place du click & collect avait contribué au succès des fêtes de fin d'année, permettant de toucher une nouvelle clientèle dans certaines librairies, son rôle n'est plus aussi flagrant en 2021. "L'usage a un peu décliné par rapport aux périodes de confinement, mais il se stabilise voire se renforce à un niveau plus élevé qu'avant la crise", indique le délégué général du Syndicat de la librairie française.
Pour le SLF, la période de Noël, tout comme le reste de l'année dernière, apportent ainsi des signaux très encourageants. "On craignait que l'élan de 2020 ne soit freiné en 2021 avec la reprise d'une vie "normale", or ça n'a pas du tout été le cas", constate Guillaume Husson. A La Nuit des temps, Solveig Touzé - qui, avec son associée Ayla Saura a été élue Libraire de l'année au Grand prix Livres Hebdo des librairies 2021 - observe toujours le même emballement "citoyen" des clients. "Ceux qui se détournent de la Fnac et d'Amazon pour faire travailler les petits commerces nous le disent", relève-t-elle.
"La librairie est devenue un symbole de tout ce qui a été débattu ces derniers mois sur le livre, mais aussi sur une autre relation à son quartier, à la consommation, au temps", souligne Guillaume Husson qui annonce "des rencontres à venir, organisées par le SLF" afin de mieux cerner les facteurs derrière la croissance exceptionnelle de la librairie. "S'agit-il de nouveaux lecteurs, ou de clients réguliers qui achètent plus qu'avant ? C'est sans doute une combinaison de tout ça", conclut-il.