Avant-critique Récit

Virginia Woolf, "Trois guinées" (Le Bruit du Temps)

Virginia Woolf - Photo © Harvard Library/ Wikimedia Commons

Virginia Woolf, "Trois guinées" (Le Bruit du Temps)

Ce texte méconnu de Virginia Woolf est une proposition féministe révolutionnaire pour transformer un monde alors sur le point de s'engager dans la Seconde Guerre mondiale.

Parution 5 novembre

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Par Marie Fouquet
Créé le 22.10.2024 à 09h00

Une société des outsiders. Trois guinées est ici présenté sous sa forme originale, avec les photographies que Virginia Woolf avait associées à son texte. Sur ces photos, des hommes en uniformes représentent des institutions de la société patriarcale contre laquelle l'écrivaine s'exprime. Traduit ici par Cécile Wajsbrot aux éditions Le Bruit du Temps, ce livre méconnu saisit par la véhémence de son ton et par sa dimension d'une actualité criante. Fiction épistolaire considérée comme la suite d'Une chambre à soi (publié neuf ans auparavant), Trois guinées est la réponse de Virginia Woolf à la lettre d'un trésorier qui lui demande, à l'aube de la Seconde Guerre mondiale : « Comment pouvons-nous empêcher la guerre ? »

En répondant à cette question fondamentale, en 1938, trois ans avant sa mort, Virginia Woolf, 56 ans, développe une pensée féministe radicale, engagée et ironique, qui s'intéresse à la question économique et à l'éducation des femmes. Associant les élans guerriers à des élans masculins motivés par la conquête et la compétition, elle invite à réfléchir à des manières d'éduquer les femmes qui leur permettent des conditions d'émancipation réelles. « Si nous aidons une fille d'homme éduqué à aller à Cambridge, ne la forçons-nous pas à réfléchir, non à l'éducation mais à la guerre, non à comment apprendre mais à comment se battre afin de pouvoir obtenir les mêmes avantages que ses frères ? » Non seulement les femmes devraient avoir accès à des enseignements et des postes égaux aux hommes, mais elles devraient aussi recevoir des salaires équivalents. Virginia Woolf part du principe que les « filles d'hommes éduqués » (elle exclut d'emblée, et de façon tout à fait honnête, les femmes des milieux populaires qui n'ont alors de toute façon pas accès à la même éducation) peuvent avoir une influence sur leurs frères et leurs pères et que cette influence pourrait avoir un impact sur la manière dont ceux-ci appréhendent le monde. Si ce qui anime les femmes est d'ordre moins belliqueux que ce qui agite les hommes, l'impact qu'elles pourraient avoir sur eux aurait donc probablement un retentissement pacifique. « S'il n'y avait aucun moyen de les éduquer pour qu'elles gagnent leur vie, cette influence prendrait fin. Elles ne pourraient pas obtenir d'emploi. Si elles ne pouvaient pas obtenir d'emploi, elles seraient de nouveau dépendantes de leurs pères et de leurs frères ; et si elles étaient de nouveau dépendantes de leurs pères et de leurs frères, elles seraient de nouveau consciemment et inconsciemment en faveur de la guerre », écrit-elle. Dans la progression de sa pensée, Woolf invite finalement les femmes à former une « société des outsiders » qui « se composerait de filles d'hommes éduqués travaillant [...] avec leurs propres méthodes en vue de la liberté, de l'égalité et de la paix ». Et conclut : « Nous pouvons vous aider au mieux à empêcher la guerre non en répétant vos mots et en suivant vos méthodes, mais en trouvant des mots nouveaux et en créant des méthodes nouvelles. »

Virginia Woolf
Trois guinées
le Bruit du temps
Traduit de l'anglais, présentation et notes de Cécile Wajsbrot
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 15 € ; 408 p.
ISBN: 9782358732048

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