Nicholas Shakespeare connut une fugace notoriété lorsque, au meeting du Bourget en 2012, François Hollande, le confondant avec son homonyme William, cita une phrase extraite de son premier roman traduit en français, La vision d’Elena Silves (Albin Michel, 1991). La méprise est injuste pour cet écrivain subtil, biographe de Bruce Chatwin et maître d’œuvre de sa correspondance, La sagesse du nomade. Plus de trois ans après un très intrigant et réussi Héritage (Grasset, 2011), Shakespeare revient avec une manière de chef-d’œuvre biographique et circonspect, Priscilla.
Priscilla, belle, triste, mystérieuse, était sa tante, considérée par la légende familiale comme une héroïne. Découvrant une malle pleine de souvenirs, photographies, courriers et manuscrits divers, son neveu Nicholas va peu à peu révéler une vérité plus complexe, ambiguë et finalement émouvante. Fille d’un célèbre journaliste anglais des années 1930, Priscilla épouse en France un hobereau normand qui, pas plus que tous les hommes qui traverseront sa vie, ne saura la rendre heureuse. De Kessel à Graham Greene, de Robert Donat (l’acteur des 39 marches qui fut l’une de ses grandes passions) à Alec Waugh en passant par Harold Acton, la sinistre bande de la Gestapo française et même Serge Doubrovsky, Priscilla va croiser tous ceux qui furent alors, d’un côté à l’autre de la Manche, les acteurs de l’Histoire. Elle finira alcoolique et désespérée, auprès d’un riche agriculteur anglais, fou de voitures de course et spécialisé dans la culture des champignons de Paris…
Nicholas Shakespeare accompagne sa tante dans cet étrange et triste voyage. Le réel s’y travestit sans cesse pour égarer une femme qui n’eut d’autre tort que son inappétence au bonheur. Il n’en faut pas plus pour rater sa vie et réussir un livre. Olivier Mony