Avant-Portrait

« Ne préférerais-tu pas qu'on t'offre une mobylette ? » s'étonne le père d'Abel Quentin, qui a demandé la « Pléiade » d'A la recherche du temps perdu pour ses 18 ans. Rara avis parmi sa fratrie de quatre et curieux phénomène au sein de cette sociologie lyonnaise « tradi » - catholique, conservatrice, d'aristos convertis lors de la Révolution industrielle aux vertus de l'entreprise - et pas plus que ça concernée par l'univers de Proust. Ce ne sera pas la première fois que l'auteur de Sœur, premier roman, dont l'héroïne est une adolescente paumée tombée dans la radicalité, déroge à la règle commune. Comme tous les rejetons de notables de la capitale des Gaules, il fait sa scolarité aux Chartreux, célèbre établissement confessionnel de la ville, mais à 15 ans, quand il s'est agi de faire sa confirmation, Abel dit non.

A contre-courant

« J'étais le seul de ma classe », se souvient-il en précisant qu'il n'était en revanche pas le seul athée. Hors de question de faire semblant d'adhérer à un truc auquel il ne croit. Les parents acceptent son choix à condition qu'il consulte l'aumônier de l'école. Au prêtre il balance des apophtegmes nietzschéens mal digérés tirés de La généalogie de la morale qu'il a lu « un jour où, malade, [il] étai[t] cloué au lit ». Contre « le ressentiment » et prenant le contre-pied de ce milieu catho lyonnais coincé, Abel décide d'aller étudier à Paris, à Sciences po qu'il intègre à 17 ans avant même d'avoir commencé sa classe préparatoire.

Le provincial découvre la solitude comme les turpitudes de la capitale. S'il n'est pas le premier de la classe à l'Institut de la rue Saint-Guillaume, il n'est pas le dernier à écumer les bars et à faire la fête. Il drague une jolie fille à la terrasse d'un café, qui se révèle être une jeune écrivaine, et qui deviendra sa compagne, « Claire B. », dédicataire du livre. Quid de la littérature ? Elle n'a jamais cessé de l'accompagner. Au lycée, avec des camarades, il avait contribué au Lose club ou à Chapelle ardente, des « revues » de bahut, pour lesquelles « on composait des vers de mirlitons ». A côté de Proust, Céline, il y a Nimier, Blondin ou Déon. Un goût à contre-courant, politiquement aussi : il s'inscrit alors dans une mouvance entre Chevènement et Philippe Muray, et à Sciences po marche à rebours de toute une génération de jeunes euro-enthousiastes pro-traité de Maastricht. Jamais rien comme tout le monde, Abel Quentin. Il prend la tangente quand cela file trop droit. Il renonce à un job d'attaché économique à l'ambassade de France au Pakistan. Fort d'une année d'échange à Washington, et ayant décroché le concours d'avocat, il s'apprêtait à embrasser une carrière de fiscaliste. Son stage chez Isabelle Coutant-Peyre, figure singulière du barreau (qui a défendu et « épousé » Ilich Ramírez Sánchez alias Carlos), le convertit au droit pénal ; son élection à « la Conférence du stage », club sélect des meilleurs jeunes plaideurs, lui permet d'être commis d'office dans les dossiers dits « terro », où il défend des djihadistes, dont certains sont mineurs.

Seule chose où il n'ait pas varié : son désir d'écrire. Contre vents et marées. Un premier roman inachevé a disparu à cause d'un ordinateur oublié dans le taxi, puis le reliquat du texte sauvé sur clé USB parti à la suite d'un cambriolage ! Il repart à zéro avec cette fiction sur une « Antigone de Sucy-en-Loire » qui passe d'Harry Potterà l'Etat islamique. Au fait, « Abel Quentin » est un masque, « pour se protéger », un masque mais pas sans plume : un pseudo protège de tout sauf du talent.

Abel Quentin
Sœur
Editions de l’Observatoire
Tirage: 4000 Ex.
Prix: 19 euros
ISBN: 9791032905913

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