5 SEPTEMBRE - ROMAN France

Amin Maalouf- Photo JÉRÔME BONNET/GRASSET

C'était à Beyrouth, dans les années 1970, avant que les "événements" - terme pudiquement utilisé par les autochtones pour qualifier l'enchaînement de guerres qui ont martyrisé le Liban durant des décennies et le menacent encore - ne les séparent, à la fois idéologiquement et géographiquement. Un groupe d'étudiants, garçons, et filles de confessions mêlées, musulmans chrétiens et juifs, avaient pris l'habitude de se réunir dans un café branché, Le Code civil, pour y partager leur jeunesse et leur fraternité, leur bonheur de vivre - à défaut de pouvoir refaire le monde. Si unis qu'on les surnommait "Les Byzantins".

Il y avait là Adam, le narrateur et héros du roman, qui ne tardera pas à quitter le pays pour devenir, à Paris, historien, spécialiste de l'Antiquité, et futur auteur d'une biographie d'Attila ! Naïm, parti pour le Brésil. Albert, victime d'un enlèvement traumatisant, devenu futurologue aux Etats-Unis. Ou Ramez, ingénieur et richissime promoteur immobilier, installé à Amman. Quant à ceux qui sont restés, Bilal, poète en herbe, s'est fait tuer à la guerre. Son frère Nidal est devenu un "barbu", un islamiste radical. Ramzi, lui, a renoncé au monde pour se faire moine, sous le nom de frère Basile. La belle et libertine Sémiramis (dite Sémi) a ouvert et dirige toujours une auberge de charme dans la montagne. Et Tania a épousé Mourad, lequel a mené une brillante carrière de politicien corrompu, mafieux, ministre de tous les gouvernements successifs sous toutes les alliances improbables. De ce fait, il était infréquentable pour ses anciens compagnons, qui l'avaient renié.

Mais voilà que Mourad, juste avant de mourir d'un cancer, appelle Adam, lequel se résout à remettre les pieds à Beyrouth, trente ans après. Durant quinze jours, il va passer son temps, isolé dans l'hôtel de la peu farouche Sémi, à mettre au net ses souvenirs, à remonter le fil du temps, et tenir le journal de ce retour forcé au Paradis perdu - ce n'est pas un hasard s'il s'appelle Adam. Surtout, il va tenter de contacter tous les Byzantins vivants et d'organiser leurs retrouvailles, en l'honneur de leurs frères disparus. Le revoir était prévu pour le 5-6 mai 2001. Mais dans un pays aussi fragile que le Liban, le destin guette, encore plus aveugle qu'ailleurs...

Pour écrire ces Désorientés, dont le titre évoque irrésistiblement Loti, ses Désenchantées et son pessimisme, Amin Maalouf précise s'être inspiré "de [sa] propre jeunesse" et qu'aucun de ses personnages n'est "entièrement imaginaire". On le croit volontiers, lui-même prêtant sans doute certains de ses traits à Adam, dans sa recherche désespérée d'un Liban perdu et largement fantasmé. Son roman est un livre puissant et grave, qui peut se lire aussi comme une parabole géopolitique. "C'est l'Occident, fait dire Maalouf à l'un de ses héros, qui est religieux, jusque dans l'athéisme. Ici, au Levant, on ne se préoccupe pas des croyances, mais des appartenances. Nos confessions sont des tribus, notre zèle religieux une forme de nationalisme..." Sur le Proche-Orient et en pleine guerre civile syrienne, on a rarement lu une analyse aussi fine que celle d'Amin Maalouf, Libanais en exil, mais avant tout écrivain du monde, tout récemment reçu à l'Académie française.

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