On raconte que dans les Cairngorms, ces montagnes des Highlands écossais, les gens se perdent quand le temps change. Perdu semble le mot le plus à même de définir le réalisateur de télévision et cinéma Richard Lease en ce matin d'octobre 2018, alors qu'il attend son train sur le quai d'une gare du nord de l'Écosse. Sa carrière patine depuis les années 1970. À défaut d'avoir vu grandir sa fille, il entretient depuis des années un dialogue avec une enfant imaginaire. Et depuis le décès de son amie Paddy, il semble entré dans un hiver sans fin. Adossé contre un pilier de la gare, il se souvient du premier whisky qu'il avait offert à cette femme brillante, sublime, qui allait devenir sa scénariste. De leur dernière entrevue, où il avait été question d'une rencontre manquée entre Rilke et Katherine Mansfield. Et de la carte postale figurant une œuvre monumentale de Tacita Dean, qu'il avait voulu lui envoyer avec cette formule, leitmotiv du roman : « le sens de la montagne ».
La montagne, au sens « alismithien » du terme, c'est avant tout celle qui se dresse devant le Royaume-Uni depuis le vote du Brexit. Plus sombre que les deux premiers volets de son quatuor, Automne (Grasset, 2016) et Hiver (Grasset, 2021), Printemps s'inspire de l'actualité politique mais aussi climatique qui, par-delà les frontières britanniques, obligent un nombre toujours croissant de personnes à quitter leur foyer pour rejoindre des villes où on ne veut pas d'eux. « Le racisme. [...] Légitime. La division légitimée vingt-quatre heures sur vingt-quatre par tous les journaux et chaînes d'information, sur tous ces écrans, à la grâce du dieu des incessants nouveaux commencements, ce dieu qu'on appelle Internet. »
Au fil de son pèlerinage, Richard croise la route d'une autre âme perdue : Brittany, employée dans un centre d'accueil pour migrants. Elle aussi a quitté Londres du jour au lendemain pour retrouver Florence, une mystérieuse jeune fille qui l'attire comme une lampe un papillon de nuit. Le récit revisite alors le Périclès de Shakespeare, Florence devenue une Marina des temps modernes qui, bien que seule au monde, incarne une lueur d'espoir. Peu à peu, telle une graine éclose dans l'obscurité, trouvant son chemin vers la lumière, le roman se déploie, ses personnages s'épanouissent. Après avoir admis néanmoins que « le véritable espoir, c'est en fait une histoire d'absence d'espoir. »
Printemps Traduit de l’anglais par Lætitia Devaux
Grasset
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 23 € ; 320 p.
ISBN: 9782246819110