Dans l’abbatiale de Fontevraud, on peut admirer le gisant polychrome d’Aliénor d’Aquitaine (vers 1112-1204) qui jouxte celui d’Henri Plantagenêt, roi d’Angleterre. Sereine, elle lit un ouvrage sans doute pieux. Mais avant Henri, auquel elle donna trois fils qui ceignirent la couronne d’Angleterre - Henri le Jeune, Richard Cœur de Lion, Jean sans Terre -, elle avait épousé le roi de France, Louis VII. C’est cette période d’avant sa "répudiation" du souverain français et ses épousailles avec le prince angevin de onze ans son cadet que retrace Clara Dupont-Monod dans son dernier roman. Quinze années considérées par l’auteure du Roi disait que j’étais diable"comme celles de l’ennui, de l’impatience, de la maturation jusqu’à cette reine qu’Aliénor deviendra au côté d’Henri Plantagenêt".
A son arrivée à la cour de France, une légende noire s’empara vite de l’héritière d’un domaine qui s’étendait sur tout le Sud-Ouest. Clara Dupont-Monod se joue des rumeurs autour de la duchesse d’Aquitaine qui arriva en terre d’oïl avec ses troubadours, et brosse d’Aliénor le portrait d’un être plein de sève, bouillonnant de vie, prête à guerroyer - elle pousse Louis à mater les bourgeois poitevins insurgés, puis à faire la croisade en Terre sainte. Ambitieuse, elle débarrasse la cour de l’influence de l’abbé Suger et de sa belle-mère, Adélaïde de Savoie, scelle l’union de sa sœur Pétronille avec le comte de Vermandois au grand dam de son ennemi juré, Thibaut de Champagne…
Ceci n’est pas un roman historique tel qu’on l’entend d’habitude, la modernité est ici pleinement assumée, l’écriture épouse la nervosité contemporaine et un brin de cette psychologie féministe dont Aliénor serait une sorte d’annonciatrice. L’originalité du roman vient aussi de cet intérêt pour ces personnages de l’ombre, hommes falots ou dont la profondeur d’âme n’a point traversé les siècles qu’affectionne l’auteure de La folie du roiMarc, le malheureux cocu dans la légende de Tristan et Iseut. Et à la voix pleine d’assurance d’Aliénor se mêle celle, transie de tendresse pour sa froide épouse, de Louis VII qui malgré tous ses efforts sera quitté. S. J. R.