Thomas Edison (1847-1931) est universellement connu pour ses multiples inventions. On sait moins en revanche que dans les dix dernières années de sa vie, ce pionnier de l’électricité avait envisagé un "nécrophone" pour communiquer avec l’au-delà. Dans son concept, il s’agit pourtant moins d’une réception de très longue distance que de distance infime, comme nous le montre ce corpus passionnant. Philippe Baudouin nous propose en effet de redécouvrir une série de textes en partie publiés en 1949 chez Flammarion dans les Mémoires et observations d’Edison. Dans un essai préliminaire intitulé "Machines nécrophoniques", ce réalisateur de documentaires à France Culture, éditeur des Ecrits radiophoniques de Walter Benjamin (Allia, 2014), replace judicieusement ce projet un peu fou dans une époque qui se distinguait par son engouement pour le spiritisme. Devant l’essor du rationnel technologique, la société développait un irrationnel. Mais c’est paradoxalement pour se débarrasser de ces "superstitions néfastes, telles que le spiritisme" qu’Edison travailla à cet engin bizarre.
Philippe Baudouin montre que c’est la technologie qui poussa l’exploration d’Edison vers l’inconnu. Avant l’invention du phonographe, on considérait que la voix ne pouvait provenir que d’un être animé. Le fait qu’une machine puisse l’enregistrer et la reproduire à volonté lui conférait une sorte d’immortalité. Pourquoi n’en serait-il pas de même avec l’esprit des défunts ? Il rappelle d’ailleurs qu’on proposa des systèmes dans les cercueils pour signaler les activités post mortem.
Edison considère que la vie est indestructible et que les êtres humains sont constitués d’"unités de vie" invisibles, mais qu’une valve hypersensible serait susceptible de capter. Après avoir mis au point la chaise électrique, dans une sorte de logique funeste dont il n’avait pas conscience, l’ingénieur aux mille brevets envisage donc la construction de cet engin inouï.
Ces articles comme les illustrations du livre sont empreints d’une foi dans la technologie capable de fournir la preuve de la vie éternelle et de mettre de l’ordre dans le chaos du monde. Et, pour étayer sa théorie, Edison use d’un argument imparable. "Si notre personnalité meurt, à quoi servirait alors un au-delà ?" L. L.