La petite fille sans allumettes. « Chaque jour on grandit », mais il suffit d'un choc pour faire des bonds inimaginables. Ce roman est construit comme une fable, si ce n'est qu'il nous plonge dans les pogroms perpétrés dans les shtetls d'Europe de l'Est. Encore faut-il avoir les mots pour les raconter...
Ce n'est pas le cas de la petite Henni, qui évolue au sein d'une famille nombreuse. « Le père estime que les garçons doivent étudier pour se faire une place dans le monde. Henni, elle apprend sans école. » Rien qu'en observant sa grande sœur adorée, Zelda, qui lui inculque le savoir des aïeules. À force d'enchaîner les grossesses, « les mères sont tristes et lourdes, glacées. Les bébés sortent d'elles par magie », mais ils laissent des séquelles. Aussi les filles sont-elles chargées de s'occuper des nourrissons. Quelle joie pour la protagoniste de se voir confier la responsabilité de « son bébé », le petit dernier. Du haut de ses 8 ans, elle estime qu'Avrom est son « trésor ». Les temps sont durs, mais il règne tant d'amour dans cette maison pleine de vie. Une nuit, des hommes enragés y pénètrent pour tout saccager. Leur passage est synonyme de pillages, destruction et mort. Henni assiste, médusée, au carnage. « Elle aussi ça l'ouvre en deux. Elle voit et elle ne voit. Le père assommé, la mère debout au milieu des hommes et les bébés éparpillés. »
Son instinct la pousse à fuir avec les rescapés de sa fratrie. Bientôt le froid, la faim et le désespoir les tenaillent. « En route, il y a le vent. Il faut éviter les dangers. Il faut quitter la route. On sera des fantômes de neige. Marcher, c'est s'échapper. » Or l'ennemi rôde toujours, alors chacun est abandonné à son triste sort. Henni découvre une solitude déchirante « devant le feu mourant ». Comment rallumer sa flamme intérieure ? En songeant à l'amour des siens et « aux jours normaux » comme si de rien n'était. Or parallèlement, elle voudrait « lâcher. Tomber. Dormir ». Devenir « une enfant, un oiseau, un arbre déjà mort ».
La plume virtuose d'Angélique Villeneuve (La belle lumière, Le Passage, 2020) est un enchantement hypnotisant. On se croirait dans l'univers d'Aharon Appelfeld ou d'Herta Müller, avec leurs parts de mystères et de deuils impossibles. « Personne ne tient dans les étoiles », si ce n'est cette héroïne poignante. En tant que lecteurs, on sait pertinemment « qu'elle ne guérira pas, mais par une caresse, une pensée, on voudrait sans cesse essayer de la consoler ».
Les ciels furieux
le Passage
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 19 € ; 216 p.
ISBN: 9782847425048