Constantinople connexion. Suave et savante. On ne saurait mieux qualifier l'étude d'Anne-Marie Cheny. D'abord parce qu'on y apprend quantité de choses sur ces curieux byzantinistes qui ont façonné le concept d'« empire byzantin ». Et puis il y a aussi la manière de mener l'enquête, de nous donner des références très pointues sans jamais casser le fil du récit. Libre à chacun d'aller fouiller dans les notes ou de se laisser porter par l'enquête et les belles illustrations. Car, du XVIe au XIXe siècle, de drôles de personnages ont découvert un monde auxquels ils ne s'attendaient pas. Ils sont bibliothécaires, diplomates, marchands, religieux, libertins, libraires, banquiers mécènes, philologues irascibles, mais surtout aventuriers de l'esprit. Et toujours érudits. Ils ne vivent que pour ces textes pour lesquels ils sont prêts à tout.
L'Empire romain d'Orient, ou empire byzantin, a duré douze siècles, de 330 à la chute de Constantinople en 1453. C'est à ce moment que commence la chasse au trésor. Les lettrés grecs quittent la cité sur le Bosphore avec de précieux manuscrits convoités par les souverains européens pour leurs bibliothèques. Les études byzantines ne sont pas nées en France sous Louis XIV avec la collection byzantine du Louvre, mais bien plus tôt, avec ces chercheurs rêveurs qui ont constitué une compagnie de doux dingues. Dès le milieu du XVIe siècle, ils ont sauvé l'héritage byzantin. À Tripoli, à Alep ou à Chypre, ils ont acheté ou fait copier des textes rares qui ont connu mille périls sur les mers et sur terre pour parvenir à Rome, Venise ou Marseille. Leur souci va bien au-delà de la collection. Ils veulent comprendre ce monde inconnu sur lequel circulaient beaucoup de fantasmes.
« Ils sont partis à la recherche de la Grèce classique et ils ont rencontré le Moyen-Âge grec et la civilisation byzantine. S'intéressant à la Byzance antique, ils ont finalement donné naissance à la Byzance moderne. » Grâce à eux, après avoir été ignorées au Siècle des lumières, les études byzantines entrent à la Sorbonne en 1899 sous la houlette de Charles Diehl. Dans Une bibliothèque byzantine (Champ Vallon, 2015), Anne-Marie Cheny (université de Rouen Normandie) avait publié le portrait de Nicolas-Claude Fabri de Peiresc, un magistrat aixois érudit de la première moitié du XVIIe siècle que l'on retrouve dans cette étude. C'est lui qui a fait venir en Provence des manuscrits rares achetés à prix d'or. Mais aussi l'humaniste parisien Claude Dupuy, contemporain de Montaigne. Ce « cercle des byzantinistes » fait écho au film de Peter Weir mais on pense surtout à Umberto Eco ou encore à Borges en s'y perdant. Voilà des histoires comme on les aime, des histoires de livres, d'audacieux, de fadas impétueux qui ont abordé un nouveau territoire par hasard et par passion. Alors bien sûr nous sommes dans l'érudition- aux Belles Lettres tout de même !- mais pour ce qu'elle compte de meilleur. Le plaisir de savoir et de découvrir comment ce savoir s'est construit.
Le cercle des byzantinistes. Comment bibliothécaires, savants et voyageurs inventèrent Byzance (XVIe-XIXe siècle)
Les Belles Lettres
Tirage: NC
Prix: 26 € ; 304 p.
ISBN: 9782251455785