Une décision rendue par le Tribunal de grande instance de Paris, le 13 mars dernier, déjà commentée dans un précédent billet, est riche d’enseignements sur les pratiques éditoriales licites ou non. L’affaire mettait aux prises un directeur de collection et une maison d’édition, qui reprochait notamment à son cocontractant d’avoir dénigré l’entreprise auprès des auteurs ou encore d’en avoir débauché certains pour les emmener publier chez un concurrent. Or, le droit — en particulier la jurisprudence — encadre assez fermement de tels comportements. L’action pour agissements anti-concurrentiels constitue un bon moyen de freiner les appétits de confrères peu regardant sur les méthodes d’acquisition de parts du marché. Il est ainsi toujours possible d'attaquer sur le fondement de la concurrence déloyale quand il y a pillage systématique d'éléments d'un ouvrage non protégé par le droit d'auteur classique. La « concurrence déloyale » est alors une notion élaborée par les juridictions sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code civil. En matière d’édition, la faute peut consister en deux types bien distincts d’agissements : le risque de confusion et le parasitisme. Mais la jurisprudence a également stigmatisé, toujours sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, certains autres comportements considérés comme anticoncurrentiels. Il en est par exemple ainsi du dénigrement, de l'application de prix anormalement bas, de la divulgation et de l'utilisation d'un savoir-faire, de la désorganisation d'un réseau de distribution ou encore de la publicité trompeuse. En outre, un salarié ne peut pas se servir librement des relations professionnelles que lui procurait l'exercice de ses précédentes fonctions. Le débauchage de salariés est d’ailleurs sanctionné en ce qu’il conduit le plus souvent à désorganiser l'entreprise. Bien sûr, un salarié est libre de quitter son employeur pour un autre, même pour un concurrent, sous réserve d'une éventuelle clause de non-concurrence. Il a ainsi déjà été jugé que « le fait pour un salarié cadre démissionnaire de solliciter la collaboration de salariés de son précédent employeur n'est nullement interdit dès lors qu'il ne s'accompagne pas d'une désorganisation de l'entreprise quittée par ses anciens salariés. » Mais le débauchage peut conduire à un détournement de clientèle : c’est ainsi qu’a été sanctionné le « comportement déloyal d'une société qui débauche l'équipe commerciale d'un concurrent (...) et choisit de se nourrir d'entrée de jeu de la substance d'un concurrent anciennement implanté, au mépris des règles de la probité commerciale. » Le débauchage sélectif ou collectif est à ce titre particulièrement suspect et peut plus facilement être qualifié de déloyal. Des offres de rémunération anormalement élevées ou de situation anormalement plus favorables peuvent être considérées comme des pressions sur le salarié. Quant au « débauchage abusif » de salariés, puni par l'article L. 122-15 du Code du travail, il s’applique notamment « lorsqu'un salarié, ayant rompu abusivement un contrat de travail engage à nouveau ses services.»  Le nouvel employeur est « solidairement responsable du dommage causé à l'employeur précédent » , « quand il est démontré qu'il est intervenu dans la rupture »  , « quand il a embauché un travailleur qu'il savait déjà lié par un contrat de travail »   ou encore « quand il a continué à occuper un travailleur après avoir appris que ce travailleur était encore lié par un contrat de travail.». Juridiquement, il n'existe aucun droit privatif sur la clientèle. Elle est libre de s'adresser à l'entreprise de son choix. Cependant, le détournement de clientèle est condamnable lorsqu'une entreprise démarche la clientèle de ses rivales de façon déloyale. Le juge peut ainsi retenir le caractère systématique et forcené du démarchage des clients de l'entreprise rivale. Il est déloyal pour un ancien salarié d'inciter les clients de son ancienne société à le suivre, bien que l'envoi à ceux-ci de lettres circulaires et de documents publicitaires ne soit pas en tant que tel condamné. Enfin, toute utilisation non autorisée du fichier client de son concurrent est prohibée. De tels agissements peuvent donner lieu, outre au versement de dommages intérêts, à des condamnations pénales pour abus de confiance ou vol, si le fichier a été « subtilisé » par un employé transfuge. Les leurres glissés dans tout bon fichier aident aisément à établir la preuve du détournement.
15.10 2013

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