Avant-critique Roman

La famille en folie. Familièrement, on dirait : « il n'y a pas de quoi casser trois pattes à un canard. » Sreenath et sa petite amie officielle Anita ont été filmés en train de faire l'amour en plein air, dans un parc, par un voyeur anonyme. La vidéo, qui dure quand même douze minutes, et où l'on voit surtout le garçon dans toute sa gloire, a bien entendu fini postée sur les réseaux, où elle n'a pas fait un tabac. Jusqu'au jour où la famille de Sreenath l'a découverte, parce que quelqu'un de son entourage l'avait vue, en avait parlé etc. S'amorce alors un fol engrenage qui va faire littéralement voler en éclats le doux confort bourgeois que ces gens s'étaient construit. Le père est propriétaire de deux magasins de vêtements à Trivandrum, Kerala. Il a bien réussi dans la vie, habite une maison confortable dans un quartier résidentiel, roule dans sa toute nouvelle Honda Civic blanche. Sa femme est professeur de physique et de maths à domicile. Ils ont deux fils : Sreenath l'aîné, 22 ans, futur expert-comptable, et un cadet, le narrateur, dont on n'ignorera toujours le prénom, étudiant en lettres puis employé dans le marketing digital, qu'on surnomme « le poète ». Ils sont hindous, croyants sans être bigots, parfaite image de la middle class indienne. Et extrêmement sensibles, surtout le pater familias, qui tient à sa réputation dans son quartier, sa ville, sa caste. La vidéo porno de son fils tombe donc on ne peut plus mal. Le père va entrer dans une rage folle, face à quoi Sreenath va se murer dans le silence et l'agressivité, jusqu'à se voir chassé de la maison. Son frère essaie de faire parler entre eux tous les membres de la famille, afin d'éviter que les choses ne s'enveniment. En vain. Son frère le surnomme narquoisement « le médiateur » et l'envoie paître à de multiples reprises. La mère, elle, ne fait que pleurer.

C'est alors que la famille d'Anita entre dans la danse. Middle class elle aussi, de bonne caste, et de bonne réputation. La mère, Veena, prend contact avec les parents de Sreenath, et va finir par les harceler continuellement, afin d'obtenir réparation, comme on disait autrefois. La seule solution, à ses yeux : que Sreenath épouse sa fille, désormais impossible à marier.

Mais les deux jeunes gens, qui se sont installés ensemble dans une espèce de squat pouilleux et ne mènent plus guère de vie sociale, ne l'entendent pas de cette oreille. Après le mariage arrangé, le mariage forcé ! Après palabres, menaces, chantage, pressions, ils finiront par accepter. Un bien triste mariage civil, qui n'apportera pas la réconciliation générale escomptée. Ils s'en iront vivre à Bangalore, Karnataka (comme le narrateur, qui va s'y installer), puis à Bombay.

Pour son premier roman, le jeune Aravind Jayan, lui-même originaire de Trivandrum, a composé une tragicomédie sud-indienne pittoresque, avec de nombreux personnages qui s'agitent dans tous les sens et font beaucoup de bruit, comme dans le kathakali, l'art du théâtre du Kerala. C'est drôle et cruel, bien mené, et ça se termine un peu en queue de poisson : les deux frères se reparleront-ils un jour ?

Aravind Jayan
Jeune couple s'éclate en plein air
Actes Sud
Traduit de l’anglais (Inde) par Benoîte Dauvergne
Tirage: 2 800 ex.
Prix: 22,50 € ; 272 p.
ISBN: 9782330192471

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