Avant, ce n'était pas mieux, c'était vieux. Et cette vieillerie rassure parfois, comme une bouffée de nostalgie. Ce n'est pas la démarche d'Arlette Camion. Certes, les temps ont changé (comme le dit son titre), mais les codes aussi. Dans cet essai délicieux, elle a voulu comprendre autre chose, ce que Daniel Halévy appelait en 1948 « l'accélération de l'histoire ». « Depuis ma naissance, la population mondiale a plus que triplé, les peuples dits primitifs ont à présent la wifi, la sainte Église apostolique et romaine s'est brutalement effondrée, tout comme le saint espoir communiste, l'exotisme est devenu une denrée commerciale, et nos petits enfants nous apprennent comment faire marcher des machines qui sont indispensables à notre quotidien. »
Cette universitaire qui a enseigné la littérature germanique dans les facultés de Lille, Orléans et Aix-Marseille propose une sociologie récréative en prenant appui sur son vécu. Ces changements spectaculaires, elle les observe à travers près de trente objets, au sens large, comme la cabine téléphonique où l'on n'avait jamais assez de pièces, avec son sol crasseux et sa porte qui se coinçait, ou la balance romaine des marchés qui indiquait fort bien l'à-peu-près du kilo. « En même temps que la balance romaine, c'est tout un équilibre qui a foutu le camp, le rapport fragile entre la ville et la campagne. »
Objets de curiosité
Mais il est aussi question de l'horloge parlante qui nous rappelait que le temps était mystérieux alors qu'il s'affiche désormais sur nos portables, du serre-tête, du cendrier Martini, de la canne qui n'est plus qu'orthopédique, du billet Victor Hugo de 500 francs, de la couchette de seconde classe qui revient à la mode, de la faucille et du marteau qui s'opposaient au gros cigare capitaliste, des bigoudis, des ventouses qui réapparaissent via la médecine chinoise, de la gamelle de l'ouvrier transformée en lunch box, du buvard, du Gaffiot, du manche à gigot, du bidet, de la formule de politesse remplacée par une émoticône, de la manivelle pour faire démarrer les voitures, de la pissotière, du brassard de deuil, de la lorgnette de théâtre, de la boîte à compas qui disait combien on avait confiance en la science ou de la mappemonde quand la planète était un globe.
On l'a compris, pour chaque objet, Arlette Camion raconte par quoi il a été remplacé. « La gamelle disparut lorsque l'on décida que les entreprises devaient nourrir leurs employés, en déduisant ces frais de leurs émoluments. Il y eut des cantines, puis des self-services, puis plus rien du tout, même plus de gamelle, car il n'y eut plus d'usines. » À chaque fois, l'analyse accompagne les souvenirs. Ce qui est réjouissant, c'est qu'il n'y a pas de déploration dans son cheminement. Il s'agit davantage d'une aventure à la Perec où derrière les choses se révèlent des gens, des histoires. « De nos jours la vieillesse est épuisante, elle nécessite presque un travail à temps plein. Et comme on meurt presque centenaire, on se demande quand on pourra enfin prendre quelque repos. » Un merveilleux petit livre de sagesse et d'esprit.
Les temps ont changé
PUF
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 9 9 € ; 208 p.
ISBN: 9782130832836