Je me garderai bien de chercher qui a raison ou tort dans les querelles de la tribu Astérix – entendez les familles Goscinny et Uderzo ; j’en éprouve seulement une tristesse. Le charme est rompu depuis longtemps, tout ça n’a plus d’intérêt. Je me souviens de ce qu’était, dans les années 65-70, la parution d’un nouvel album, Le Combat des chefs ou Astérix légionnaire . Ça tenait de l’événement national. C’était comme Noël. Pendant au moins quinze jours, toute la cour de récré ne parlait que de ça. Les parents et les profs le lisaient aussi. On se répétait à satiété les gags imaginés par deux types pleins de malice, qui semblaient s’être autant amusés à composer leurs histoires que nous à les lire. Après la disparition de René Goscinny en 1977, les albums furent tout de suite moins bons. Goscinny n’était tout simplement pas imitable, même par son dessinateur et ami. Dans l’intervalle s’était mise à tourner la triste machine des droits dérivés, de l’exploitation commerciale tous azimuts. Certes, on peut toujours nuancer, trouver que le film Mission Cléopâtre était quand même meilleur que le calamiteux Astérix aux jeux olympiques ; ou que le parc Astérix est globalement plus sympathique et agréable que la grosse bouse Eurodisney, lâchée dans les plaines pour les mornes conso-loisirs de quelques chiourmes d’obèses microcéphales. Mais où êtes-vous, Astérix, Obélix, tels qu’on vous aimait ? Je ne sais qui, dans les disputes présentes, a invoqué le droit moral. Le droit moral ! Ce n’est certes pas moi qui contesterai le droit moral. Mais que devient-il, quand c’est l’esprit même de l’œuvre qui est oublié, trucidé, passé aux profits et pertes ? Ce que n’ont jamais pu réaliser les légions de Babaorum, Laudanum, Aquarium et Petibonum, celles de Consortium y sont parvenues. Il paraît que Buffalo Bill, à la fin de sa vie, rejouait ses exploits dans un cirque. Nos braves Gaulois, eux aussi, sont désormais devenus des ilotes. *** L’autre jour, dans la rue, je me suis vu soudain comme si je n’étais pas moi, comme si je me regardais passer. Et j’ai pensé : « Tiens… C’est étrange… C’est toi, ce type qui marche dans la rue, qui a 53 ans et qui vient de poster sa lettre de candidature à l’Académie… » Soudain toute l’existence se remettait en perspective et semblait dire : « Voilà, ça t’aura mené là, à ce point précis. Oh, ça n’est certes pas le sommet de ta vie, ce n’est qu’une chose parmi d’autres ! Mais enfin, aujourd’hui samedi 24 janvier 2009, à 15 h 10, tu es ce type, qui voudrait ça. » Ce n’était pas triste ; ce n’était pas gai non plus. C’était juste le sentiment de la vie – cette chose qui simplement passe (vous l’avez sûrement remarqué aussi), et vous apporte indifféremment ce qu’il y a de plus imprévisible et ce qu’il y a de plus évident. Il s’en dégageait en somme je ne sais quel appel, assez réconfortant, à l’humilité. Accessoirement, l’autre soir, cela a fourni à Anne Muray, Dominique Noguez, Gérald Sibleyras et quelques autres une agréable occasion de me charrier. Ma foi, par les temps qui courent, si cela peut divertir les copains, je n’aurai déjà pas perdu mon temps…