Katherine Pancol a suivi des cours de "creative writing" à l’université Columbia, à New York, avant d’écrire La barbare, son deuxième roman, en 1981. Aujourd’hui, elle se rendrait peut-être à Paris dans un hôtel particulier du 7e arrondissement, aux Ateliers d’écriture de la NRF. En 2013, Leïla Slimani a abandonné son travail pour se consacrer à sa passion. Elle s’est inscrite à l’atelier de Jean-Marie Laclavetine, par ailleurs membre du comité de lecture de Gallimard. L’année suivante elle publie dans la "Blanche" Dans le jardin de l’ogre. Deux ans plus tard, elle reçoit le prix Goncourt pour Chanson douce. Cet automne, Olivier Chantraine (Un élément perturbateur) est passé par l’atelier "Marcher sur la queue du tigre" animé par Philippe Djian avant de se retrouver lui aussi en "Blanche".
Transmettre
Gallimard rechercherait-il, via ces chantiers chics, de nouveaux auteurs ? Léa Manuel, qui supervise cette académie Gallimard, s’en défend. "Bien sûr, chacun rêve secrètement d’être publié, mais ce n’est pas une pépinière pour la maison d’édition. C’est avant tout un lieu d’échange entre des écrivains et ceux qui veulent écrire. De la même manière, il existe pour la cuisine des endroits où des grands chefs communiquent leur savoir-faire. Ici, c’est pareil. Dans le domaine de l’écriture, des choses peuvent se transmettre."
C’est un vrai changement de perception pour la maison d’édition littéraire. Depuis l’époque des fondateurs, on y considérait l’écriture comme un talent qui ne s’enseigne pas. Jusqu’à ce que Charlotte Gallimard, l’une des filles d’Antoine, fasse un stage chez Faber and Faber, à Londres. Elle constate que l’éditeur britannique possède depuis des années une Faber Academy qui organise des "writing courses" au cœur de Bloomsbury, le quartier littéraire londonien. Avec un beau succès et une certaine rentabilité.
Sur ce modèle, les Ateliers de la NRF sont montés en 2012. Quatre auteurs se lancent dans l’aventure. Ils sont aujourd’hui une vingtaine. Parmi eux, Jean-Marie Laclavetine, Hédi Kaddour, Pierre Péju, Colombe Schneck, Camille Laurens, Jean-Baptiste Del Amo, Philippe Djian, Fabienne Jacob ou Jean-Philippe Arrou-Vignod, qui vient de publier un passionnant témoignage sur cette expérience.
De 19 h à 22 h, pour pouvoir accueillir les actifs, quelquefois le week-end, pour favoriser les provinciaux, et exceptionnellement aussi en Suisse pour Philippe Djian, on parle avec un auteur, on se lit à haute voix et on discute sur le plaisir du texte. Il ne s’agit ni de cours, ni de master class. Les ateliers sont payants - ils peuvent être financés par l’Assurance formation des activités du spectacle (Afdas) - et ne dispensent pas un apprentissage. Pour les qualifier, le terme d’accompagnement semble le plus juste.
Par groupe de douze personnes au maximum - il n’y a pas d’atelier en dessous de sept participants -, chacun vient calmer son angoisse de la page blanche. Dans ce salon où passèrent Gide, Malraux, Queneau, Aragon, Duras et tant d’autres, l’écriture descend de son piédestal pour se partager. Certains écrivains comme Pierre Péju assurent même faire cela d’abord pour eux-mêmes, tant ils tirent profit de l’exercice.
Savoir présenter un manuscrit correct
Cette dimension artisanale est également présente boulevard Hausmann. C’est la salle François Mauriac qui accueille les Ateliers du Figaro littéraire. "Ils ont démarré en janvier 2017 à la demande des lecteurs", indique le journaliste littéraire Mohammed Aïssaoui, qui animait ce type de réunion depuis cinq ans dans les librairies avant de les prendre en charge au sein du journal. "Il n’y a pas de dimension sociale dans ces ateliers. Les gens viennent pour améliorer leur style, mettre en forme un projet de publication ou savoir présenter un manuscrit correct à un éditeur", précise-t-il. Parmi les intervenants, Georges-Olivier Châteaureynaud, Jean-Noël Pancrazi, Grégoire Delacourt, mais aussi Karima Hocine, éditrice chez Lattès.
Pascale Pujol était en train d’écrire un roman lorsqu’elle s’est inscrite aux ateliers NRF avec Jean-Marie Laclavatine. D’abord en 2013, puis en 2014. L’auteur de Petits plats de résistance (Le Dilettante, 2015) a été séduite par l’ambiance, la bonne humeur, l’écoute. "Je l’ai fait par curiosité, pour découvrir Jean-Marie Laclavetine, pour voir l’envers du décor d’une grande maison et comprendre un peu mieux les arcanes de l’édition. Mais cela n’a ni forgé ni amplifié mon souhait d’être éditée, et cela n’a pas non plus marqué un tournant dans mon écriture. Pour autant, c’était vraiment très bien."
Même son de cloche chez Laetitia Rusticoni. Cette femme qui travaille dans la communication pour un grand groupe automobile a choisi le thème de la littérature jeunesse. Elle s’est donc retrouvée en 2016 chez Jean-Philippe Arrou-Vignod. "L’ambiance et le cadre sont magiques", dit-elle. Ce dernier confirme : "Des relations complices se tissent entre les participants. Certains se voient après l’atelier pour poursuivre les discussions. Tout cela aide les candidats à l’écriture à sortir de leur solitude."
Démaquiller ses phrases
A côté de ces ateliers, on trouve des master class, comme celles de la Bibliothèque nationale de France, ou des masters de création littéraire. David Lopez a suivi celui de Maylis de Kerangal à l’université de Saint-Denis pour apprendre à démaquiller ses phrases dans Fief (Seuil).
Enfin, il existe de rares ateliers d’écriture dans les universités. La plus grande d’Ile-de-France possède le sien. Il est réservé aux étudiants de Paris-1 Panthéon-Sorbonne et est animé par la romancière Joëlle Guillais. "J’ai conceptualisé des outils, des moyens, mais ce que je fais ne relève pas d’un cours. J’ai besoin d’installer une stimulation." Elle fait la même chose hors université dans son atelier "Mot à mot". Elle quitte parfois les endroits feutrés où l’écriture se cherche pour des lieux plus rudes, dans une école à Créteil ou auprès de la Banque alimentaire, à l’image d’Olivia (Marina Foïs) dans le film de Laurent Cantet, L’atelier. L’écriture vient alors comme une thérapie soulager une douleur sociale autant qu’individuelle. "Il y a pourtant un point commun entre ces deux types d’atelier. Tous les gens qui viennent transgressent l’image du don à la naissance. Sans ces ateliers, ils ne se seraient jamais rencontrés." L. L.
"Je n’ai jamais pu écrire en pyjama"
"Il n’y a pas d’école pour les écrivains", assure Jean-Philippe Arrou-Vignod. Ce qui ne signifie pas que l’art d’écrire ne puisse pas s’enseigner. Dans Vous écrivez ?, il livre non pas quelques secrets, mais son expérience, à la fois comme écrivain réputé et comme animateur des Ateliers d’écriture de la NRF. "Ce petit livre n’est pas un cours. Moins encore une boîte remplie de clefs." Son ambition est à la fois plus modeste et plus grande. Dans ces petits groupes, il traite du roman jeunesse dont il est une figure reconnue, comme auteur et comme éditeur. Ici il élargit sa palette au-delà des genres. Il explique comment commencer, le choix du temps, les personnages, l’intrigue, les dialogues en faisant toujours référence à sa propre attitude et à ses rituels face à la page blanche. "Je n’ai jamais pu écrire en pyjama."
Jean-Philippe Arrou-Vignod explique qu’écrire, c’est réécrire. C’est avancer à la lanterne, comme il dit, en sachant qu’on ne voit pas très loin devant soi, mais qu’on se trouve à la bonne distance de son imagination. "De la page d’après, je ne sais rien ou presque. J’avance avec mes personnages vers un destin qu’ils ne connaissent pas encore." Et il conclut cette vivifiante entrée en matière par une belle phrase de Milan Kundera extraite de L’art du roman : "Les romanciers qui sont plus intelligents que leurs œuvres devraient changer de métier."L. L.
Vous écrivez? Le roman de l’écriture de Jean-Philippe Arrou-Vignod, Gallimard, 18 €, 210 p. ISBN : 978-2-07-273537-0
Un cursus de trois ans à l’académie des bulles
Née d’une rencontre entre les groupes Brassart et Delcourt, l’Ecole supérieure des métiers de la bande dessinée a ouvert ses portes à Paris en 2014. A la différence des ateliers d’écriture, il s’agit ici d’un enseignement complet, sur trois années, avec un diplôme à la clé, pour l’instant non reconnu par l’Etat. Pour ce cursus complet, les frais de scolarité s’élèvent à 21 000 euros.
Eric Dérian dirige l’équipe pédagogique de cette académie qui comprend une cinquantaine d’étudiants pour les trois années. Lui-même auteur de BD - il a cosigné la série Hermine avec Delphine Rieu chez Glénat -, il considère que cette formation n’est pas destinée à former que des auteurs Delcourt, même si des étudiants y font des stages et y sont quelquefois publiés. "Cela n’aurait pas de sens ! Le groupe ne pourrait pas accueillir les sept étudiants diplômés cette année. Leur avenir professionnel ne nous appartient pas. En revanche, ils sortent tous en juin avec un projet professionnel. On ne leur cache rien de la réalité du métier. Ils rencontrent certes des éditeurs, mais aussi des libraires et des bibliothécaires. Nous leur fournissons les outils pour créer, mais surtout les moyens pour qu’ils puissent accomplir leur cheminement personnel."
Pour les adultes qui veulent connaître le b.a.-ba de la BD, l’école propose aussi chaque jeudi soir des ateliers qui fonctionnent comme ceux de ses homologues littéraires. L. L.
Académie Brassart-Delcourt. Ecole supérieure des métiers de la bande dessinée. www.academie-bd.fr
Writer’s workshop, une tradition américaine
Aux Etats-Unis, pour avoir une chance d’être publiés, les auteurs sont quasiment obligés de passer par des ateliers d’écriture. Les stars des lettres y interviennent.
Dans le deuxième épisode de la série Girls, Hannah Horvath (Lena Dunham), apprenti écrivaine persuadée de son talent, assiste à son premier atelier à l’Iowa Writer’s Workshop. Tandis qu’une poignée d’étudiants lisent à tour de rôle leur ouvrage en cours, la New-Yorkaise se fend de remarques acides sur le travail de ses camarades, avant d’être elle-même moquée pour sa prose prétentieuse. Après la diffusion, les réactions ont été nombreuses dans la presse anglo-saxonne. C’est que Lena Dunham, également créatrice de la série de HBO, a osé toucher à un mythe : le master de création littéraire de l’université de l’Iowa est le plus ancien et le plus prestigieux des Etats-Unis.
Programmes universitaires cotés, grandes conférences annuelles ou "workshops" en petit comité, les options de formation à l’écriture ne manquent pas outre-Atlantique. Pour un auteur débutant, travailler son manuscrit dans le cadre d’un atelier collectif est presque un passage obligé pour réussir à se faire publier. "L’Amérique a toujours eu une tradition d’ateliers d’écriture", explique Jeffrey Ourvan, de la Jennifer Lyons Literary Agency. L’agent new-yorkais fait remonter à près d’un siècle les premières formations, mais observe un tournant au cours des dix dernières années. "L’arrivée d’Amazon et la concurrence d’Internet ont affaibli le marché, et il est encore plus dur pour un auteur d’être publié. D’où l’importance de mettre le plus de chances de son côté, en optimisant son manuscrit avant de le soumettre à un agent."
En parallèle des programmes universitaires reconnus, parmi lesquels Columbia et l’Hunter College, à New York, ou l’université du Michigan, affichant sur leur site les noms de leurs anciens élèves devenus des vedettes, le pays a vu fleurir les "workshops" de quelques semaines à quelques mois. Jeffrey Ourvan, auteur de plusieurs livres après avoir bénéficié des cours du romancier John Rechy, en propose lui-même cinq différents à New York, limités chacun à cinq auteurs, pour 350 dollars. "Pendant deux mois, chaque participant envoie une quinzaine de pages par semaine, raconte Danielle Arceneaux, qui cherche à écrire ses Mémoires. Les remarques sont bienveillantes mais directes : nous poursuivons tous le même but, être publiés."
Grandes stars
Jeff Ourvan a choisi la double casquette d’agent et d’enseignant, mais son cas est atypique. La plupart des professeurs invités à l’université ou responsables de "workshops" sont d’anciens éditeurs, mais surtout des auteurs publiés. Parmi eux, on trouve parfois des stars. Jesmyn Ward, lauréate du National Book Award 2011, est cette année professeure invitée à l’université Tulane, à la Nouvelle-Orléans. Orhan Pamuk, passé par le master de l’Iowa, enseigne à Columbia.
"Nos ateliers sont menés par des écrivains renommés", confirme Adrienne Brodeur. Auteure, éditrice et cofondatrice de la revue Zoetrope : All-Story, elle dirige le centre littéraire Aspen Words, qui organise chaque été la conférence Aspen Summer Words. Pendant six jours, auteurs émergents, éditeurs, agents et grand public se retrouvent pour des débats et des ateliers. "Ecrire est une entreprise très solitaire. Notre programme, comme les conférences de Sewanee, dans le Tennessee, ou Squaw Valley, en Californie, permet aux jeunes écrivains de se constituer un réseau et de faire connaître leur travail", détaille-t-elle. Le rendez-vous phare du Summer Words est un atelier d’écriture devant un jury, grâce auquel le centre sélectionne ses nouveaux étudiants. Peut-être les Jesmyn Ward et Orhan Pamuk de demain. De New York, M. D.