Le bonheur est-il soluble dans l'économie ? A priori, on pense que oui. Après la lecture du nouvel essai de Daniel Cohen, plus de doute. Et, c'est un économiste qui le dit ! Professeur à l'Ecole normale supérieure, vice-président de l'Ecole d'économie de Paris et éditorialiste associé au journal Le Monde, l'homme parle donc d'autorité. Chez le même éditeur, il avait publié en 2009 La prospérité du vice : une introduction (inquiète) à l'économie, qui s'était installé pendant plusieurs semaines dans les meilleures ventes des essais.
Trois ans de crise plus tard, il nous montre que l'homo economicus est un animal triste. "L'Homo economicus qui m'habite est à la peine. Il maximalise une utilité mais il ne sait pas celle de qui." Daniel Cohen observe que, d'après les études, le divorce est le grand acteur de souffrance du monde moderne après la perte d'emploi. Ah, les études ! Daniel Cohen en cite beaucoup, mais surtout il multiplie les exemples pour montrer que la notion de profit n'est pas toujours si évidente dans notre modèle occidental vacillant. Ainsi le directeur d'un centre de transfusion sanguine qui veut accroître ses stocks en offrant une prime aux donneurs voit l'offre décliner. Tout simplement parce qu'il a voulu rémunérer la générosité.
Notre économiste distingué fait également beaucoup de comparaison avec l'histoire. La chute de Rome pourrait-elle éclairer celle de l'Amérique ? Toutes deux se sont pensées centre du monde. Mais les Romains n'étaient pas curieux. Tandis que pour Gertrude Stein, "l'Amérique est le pays le plus vieux, parce que nous sommes modernes depuis le début".
La modernité ! Voilà le défi, voilà l'ennui. On ne sait par quel bout la prendre. D'autant que nous sommes peut-être déjà passés de l'autre côté, à l'ère postmoderne, selon la formule de Jean-François Lyotard, dans un monde radicalement différent. Ainsi Daniel Cohen estime qu'il faut comprendre la pauvreté autrement que sous la notion de "vivre" avec moins d'un dollar par jour...
La mondialisation fabrique des crises qui nous en rappellent d'autres, celles des années 1930. Une société planétaire, interconnectée, susceptible d'être engloutie par des pathologies nouvelles. Et Internet qui donne raison à Guy Debord et à sa formule : "le vrai est un moment du faux".
Sur tous ces sujets, Daniel Cohen propose un texte clair, des exemples précis, des inquiétudes réelles aussi sur les espoirs déçus de cette société post-industrielle. Remplacer le PIB par l'unité de bonheur ? Mais que signifie-t-elle puisque 70 % des personnes l'identifient à une hausse de salaire ? "Tout montre en fait que la croissance économique, telle que nous la connaissons depuis deux siècles, ne peut pas porter en elle-même les conditions de sa propre disparition." Dans ce nouvel âge, que certains ont baptisé "anthropocène", cet homo economicus apparaît bien econominus...