Pour la plupart des amateurs, le meilleur café du monde est le Blue Mountain de la Jamaïque, dont les fèves se négocient au prix de la truffe ou du caviar. Il cavaliere Massimo Pietrangeli, lui, ne partage pas cet avis. A ses yeux, le nectar des nectars, l'élixir de vie, provient de Churuca, un coin perdu du Costa Rica, sur les pentes brumeuses d'un volcan en perpétuelle éruption. C'est là que sa famille, torréfacteurs depuis trois générations, possède quelques hectares qui produisent ce café qui l'enchante et auquel il a voué sa vie.
Massimo est né à Bologne, qu'il a quitté pour s'établir à Rome. Il y a fait fortune et gloire, devenant même le fournisseur exclusif du président de la République, Einaudi, qu'il va livrer en personne chaque matin pour une cérémonie païenne et gourmande, en son palais du Quirinal. Mais le jour où commence notre histoire, le maestro manque pour la première fois son rendez-vous. On est en 1954, il a 71 ans, et il vient d'être victime d'un infarctus sévère. Alors qu'il est dans le coma, et qu'on craint une issue fatale, la famille se précipite au chevet du patriarche, mi-éplorée mi-concupiscente. Il y a là Oreste, le fils aîné falot, qui ne s'intéresse qu'au jeu de cartes, avec sa femme Erminia, qui le mène à la baguette ; la soeur aînée, Lucrezia ; le frère cadet, Drago, moine franciscain venu de son couvent parmesan ; Chiara, l'aînée des filles, romancière à succès qui s'est affranchie du poids du clan ; et Graziella, la cadette, mère de famille plus conventionnelle, mariée à Romeo, un imprimeur milanais nouveau riche et d'une rare muflerie, une espèce de Séraphin Lampion. Tout est prêt pour le dernier acte : mort, funérailles et succession.
Mais voilà, Massimo ne meurt pas. Il ressuscite même, provisoirement, grâce à une tasse de son sublime caffè, prélevé dans sa cassette personnelle, qui l'accompagne depuis près d'un demi-siècle. Depuis son premier voyage initiatique au Costa Rica, en 1908. Seulement, la réserve s'épuise, et le vieil homme sait qu'il ne tiendra plus très longtemps. Il décide alors d'embarquer toute sa smala jusqu'à Churuca, sous prétexte de se ravitailler. En fait, comme un éléphant qui, son heure venue, se dirige vers le cimetière, Massimo retourne sur le lieu emblématique de toute son existence. Là, aussi, où il a perdu Ornella, son premier et seul amour, en 1909, à cause du volcan en furie. Gioconda, sa seconde épouse, morte en 1947, ne fut que la mère de ses enfants. Au fil des étapes, en voiture jusqu'à Bordeaux, en bateau jusqu'à Limon, via les Açores et les Antilles, puis à travers la jungle tropicale, Massimo raconte ses souvenirs, son parcours à Chiara, devenue son historiographe.
Le maître de café, nouvelle prouesse d'Olivier Bleys, est un road-trip familial et burlesque, une espèce de Tintin au pays de l'or noir version spaghetti, riche en rebondissements, péripéties et crêpages de chignon. C'est une belle histoire humaine avec un héros, Massimo Pietrangeli, attachant et inoubliable. C'est surtout le tour de force d'un écrivain doué, qui a le chic pour dénicher des sujets originaux - la fabrication du pastel toulousain au Moyen Age, la guerre des tulipes dans les Pays-Bas au XVIIe siècle, ou la construction de la tour Eiffel, par exemple- qu'il traite avec érudition, élégance, et une rare puissance d'évocation. Avec ce beau livre, le discret Olivier Bleys confirme qu'il est l'un des tout meilleurs romanciers de sa génération.