“Quand, dans une classe, je raconte aux enfants comment l’histoire qui naît dans la tête d’un écrivain arrive jusqu’à la leur, je réunis une dizaine de volontaires et je leur fais se donner la main. Les rôles répartis, une longue chaîne apparaît alors sous leurs yeux : de l’auteur jusqu’au lecteur. Mais, dans la réalité, faire des livres, c’est beaucoup plus de travail ! Beaucoup d’investissements humains, de subtils calculs et, aujourd’hui, d’angoisse, parce que cette belle chaîne du livre va mal.
Les libraires souffrent et ceux qui résistent au choc le font au prix d’efforts considérables. Beaucoup d’imprimeurs et de relieurs voient leurs commandes fondre. Les travaux émigrent même si des maisons comme la nôtre demeurent très attachées à une fabrication de proximité.
Nombre d’éditeurs s’inquiètent eux aussi et en premier lieu parmi les indépendants, plus exposés. Comment tenir, par exemple, face à la baisse des ventes et donc des tirages, et à l’augmentation du coût de fabrication de chaque exemplaire qui en résulte ? Comment les projets éditoriaux les plus audacieux, les plus périlleux, vont-ils pouvoir encore venir titiller l’appétit des lecteurs ?
L’univers des bibliothèques n’est guère plus à l’abri des crispations économiques. Il n’est pas rare d’entendre un élu « décomplexé » justifier ainsi une réduction de budget : « Vous avez déjà beaucoup de livres qui attendent leurs lecteurs ! » Il nous faut vraiment faire preuve d’imagination. Inventer des synergies, des coopérations, des convergences. Mais nous avons aussi besoin d’un engagement public majeur.
Le moment n’est-il pas venu pour toute la chaîne du livre de réfléchir au nouveau souffle que notre pays devrait offrir à la lecture ?
Pourquoi pas des états généraux du livre ? Un temps fort pour se demander, notamment, comment réagir ensemble ? Comment faire du partage équitable de la culture un véritable enjeu de société ?
Parvenir à augmenter, ne serait-ce que de quelques points, le nombre de livres lus contribuerait évidemment à vivifier toute la chaîne du livre. Et elle en a grand besoin. Mais un tel redéploiement ne constituerait-il pas surtout une réponse à long terme au chaos qui s’installe dans de plus en plus d’esprits ? Quand une adolescente brandit une banane en guise d’argument et que des voix adultes osent prendre son relais, n’y a-t-il pas urgence à mettre davantage de livres dans davantage de mains ? Urgence à courir au secours de la lecture pour que les livres viennent au secours de notre société humaine quand elle s’égare à ce point ?”