Premier grand poète français et peut-être le plus populaire de tous, François Villon est aussi quelqu’un dont on ignore à peu près tout. Son vrai nom (de Montcorbier, ou des Loges ?), sa date de naissance (autour de 1431), et, surtout, celle de sa mort : après 1463, parution de son Epitaphe (l’illustre Ballade des pendus), il disparaît. On suppose, comme notre homme était aussi génial que voyou (il fut membre de la fameuse bande des Coquillards, la pègre de son époque, et eut à plusieurs reprises maille à partir avec la justice du roi), qu’il a mal fini, au cours d’une rixe. La tentation était trop belle, pour un écrivain comme Raphaël Jerusalmy, qui est lui aussi un érudit et un aventurier - normalien, ancien agent du Mossad, il est aujourd’hui libraire d’ancien à Tel-Aviv - d’inventer à Villon une seconde partie de vie, un destin à la fois totalement romanesque et, pourquoi pas, plausible.
En 1463, donc, le roi Louis XI, qui règne depuis deux ans seulement et se bat comme un renard pour agrandir et fédérer le royaume de France, accorde à Villon son pardon et le fait tirer de la geôle où il croupit, à condition qu’il accomplisse une mission : convaincre Johann Fust, imprimeur à Mayence et associé de Gutenberg, de venir s’installer en France afin de diffuser largement les chefs-d’œuvre des Anciens, dont la Res publica de Platon, ouvrages mis à l’index par le Vatican, sous la férule du pape Paul II. Villon, accompagné de son compère coquillard Colin de Cayeux, obtempère et réussit. Mais Fust, avant d’accepter l’offre royale, doit en référer à ses mystérieux commanditaires, en Terre sainte. Voici le poète, devenu agent secret au service de Sa Majesté, bientôt pris dans une formidable histoire, un complot géopolitique dont l’issue pourrait avoir des conséquences incalculables, en cette fin de Moyen Age, sur l’ordre du monde et ses équilibres. Du côté des tenants de la modernité (des Lumières avant l’heure), Louis XI, ses alliés italiens les Médicis de Florence, les Sforza de Gênes et de Milan, les Juifs. De l’autre, la papauté, et aussi l’Empire ottoman, à qui appartient la Palestine et qui, depuis la chute de Constantinople en 1453, a tout intérêt à maintenir avec la chrétienté une espèce de statu quo.
Au cours de sa mission, Villon vivra de nombreuses aventures, courra bien des dangers. Il découvrira, par exemple, la « Jérusalem d’en bas », où siège la confrérie, née jadis à Alexandrie, ou encore la prison mamelouke de Nazareth. Il aura aussi le privilège de voir les jarres de Qumran, renfermant le sulfureux Testament d’Anân, pseudo-récit de la dernière conversation du Christ avec Pilate. Testament pour testament, il révélera ses talents cachés de pasticheur et de faussaire. Il trouvera aussi l’amour et la paix dans les bras d’Aïcha, la belle Kabyle, qui lui donnera même un petit Villon… Jolie licence romanesque.
Jerusalmy s’en donne à cœur joie, dans cette saga picaresque échevelée et érudite, où il emporte son lecteur, ravi. Mais, par-delà son intrigue, le roman peut se lire comme un hymne d’amour au livre, outil de connaissance et de civilisation, face à tous les fanatismes et tous les obscurantismes. Un combat éternel.
Jean-Claude Perrier