Le matin où on la rencontre, elle confie qu'elle s'est couchée à trois heures du matin. Pour travailler à un nouveau livre ? non, pour boucler un dossier... Car avant d'être l'auteure de quatre livres en huit ans, Caroline Lunoir est avocate pénaliste. L'écriture, prévient-elle en préambule, « c'est pour le plaisir, pour m'évader ». Elle qui s'imaginait une carrière dans les droits de l'homme, « tongs aux pieds », et a effectué des missions pour l'ONG Avocats sans frontières au Burundi après ses études (à Toulouse, en Irlande, à Aix-en-Provence), a finalement choisi de s'associer avec deux copains pour monter en 2012 son cabinet à Paris. On voit bien ce qui rapproche les deux pratiques, l'art de la plaidoirie et l'écriture fictionnelle : il faut aimer raconter des histoires. « J'adore me plonger dans les procès-verbaux des enquêtes de police. C'est comme une étude de textes. Et puis comme je suis du côté des prévenus, des accusés, il s'agit de porter la voix de quelqu'un. C'est un métier où l'on doit adopter le point de vue d'un autre, où il faut pouvoir penser à sa place pour le défendre. Le juge veut entendre une lecture, qu'on lui propose une autre histoire. » Et il faut « aimer le match », même si ça - la posture combative, l'éloquence -, « ça s'apprend », assure cette trentenaire qui n'a pas vraiment le verbe haut que l'on prête aux ténors du barreau.
Maison de famille
La faute de goût, son premier roman, est né dans les interstices de sa vie professionnelle. En 2009, Caroline Lunoir est installée à Boston où elle cherche du travail. A partir de la lecture d'un article du Canard enchaîné, elle imagine une histoire de lutte des classes dans la bourgeoisie de province, le temps d'une réunion estivale dans une maison de famille du Sud-Ouest. Un environnement qu'elle connaît plutôt bien puisqu'elle a grandi dans cette province entourée de trois sœurs.
Un personnage composite
Actes Sud accepte le manuscrit envoyé par la poste à sept éditeurs, et la voilà entrée dans le monde des livres, des librairies et des salons littéraires. Un tout nouveau milieu qui lui apporte de nouveaux amis. C'est là qu'elle rencontrera notamment Sébastien Marnier, Fanny Saintenoy et Anne-Sophie Stefanini, écrivains débutants comme elle, avec qui elle cosignera une histoire à huit mains, Qu4tre, chez Fayard en 2013. Suivra, deux ans plus tard, un deuxième roman, en solo, Au temps pour nous, qui se passe dans un maquis résistant pendant la Seconde Guerre mondiale. Le déclic ? l'envie depuis longtemps de voir comment le même acte criminel, un assassinat par exemple, peut prendre un sens complètement différent en fonction du contexte.
Parmi les nouveaux liens noués dans sa vie littéraire, il y a aussi l'écrivaine Hélène Gestern, l'amie et lectrice « très bienveillante », remerciée à la fin de son dernier roman. « Pour moi qui exerce un métier à échéances, l'écriture d'un roman est plus difficile. C'est elle qui m'a proposé de nous fixer des contraintes : nous envoyer tous les mois et demi un chapitre de nos livres respectifs en cours d'écriture. » L'eau qui dort, pour Hélène Gestern, paru en août dernier chez Arléa. Première dame pour Caroline Lunoir, auquel elle a mis le point final pendant son congé de maternité à l'été 2017 : le journal de campagne intime de l'épouse d'un candidat à l'élection présidentielle en France, un personnage composite qui a des traits communs avec plusieurs compagnes d'hommes politiques contemporains. Depuis quelques mois, Caroline Lunoir travaille sur un polar, dans un univers familier donc, mais qui s'avère finalement compliqué à transformer en fiction : avec ce genre littéraire, l'écrivaine avocate dit qu'elle a plus peur de l'invraisemblance.
Première dame
Actes Sud
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 18 euros
ISBN: 9782330117832