Chloé Pathé a créé la maison Anamosa en 2016, après avoir passé plusieurs années chez Autrement. Spécialisées en sciences humaines et sociales, les éditions Anamosa se sont distinguées dans le paysage éditorial de la pensée critique par sa fine sélection de textes et et d'auteurs et autrices, par le soin qu’elles portent à l’objet-livre, ainsi que par leur engagement politique. Le mois prochain, Chloé Pathé lance « chaki »(qui signifie « petit » en langue Sauk, d'où est aussi extrait le terme « Anamosa » qui veut dire « tu marches avec moi »), une collection poche qui sera inaugurée par 4 titres importants du catalogue : La Saison des apparences. Naissance descorps d’été, de Christophe Granger ; L’Appel de la guerre. Des adolescents au combat, 1914-1918 de Manon Pignot ; La Paix des ménages. Histoire des violences conjugales, XIXe-XXIe siècle de Victoria Vanneau et Les Larmes de Rome. Le pouvoir de pleurer dans l’Antiquité de Sarah Rey. Interview.
Livres Hebdo : comment est née l’idée de créer cette collection poche ?
Chloé Pathé : Elle est née d’un constat simple : la diminution des stocks de livres importants de notre fonds, qui sont devenus des références ou qui ont été écrits par des auteurs et autrices de la maison avec lesquelles j’ai d’autres projets. On peut certes réimprimer ces ouvrages dans leur format originel par coups de 300 exemplaires, mais il reste difficile de susciter des remises en avant avec de seules réimpressions. Le poche permet de recréer de la nouveauté, dans les rubriques dédiées dans la presse ou en librairie. Pour les nouveautés, on dépasse les 1 000 exemplaires. Il peut s’agir d'ouvrages imprimés par 1000 ou 1500 exemplaires en grand format, mais qui n’ont pas suscité l’intérêt des grands éditeurs de poche. L’idée de la collection est aussi de valoriser le fonds, car il s'agit là du trésor d’une maison, c’est important de le garder.
La question du format des ouvrages et de l'objet-livre est particulièrement réfléchie chez Anamosa. Pourquoi cette attention ?
Les formats eux-mêmes ont une histoire. Celui de la revue Sensibilités. Histoire, critique et sciences sociales est un clin d’œil aux Actes de la recherche en sciences sociales de Pierre Bourdieu. Quant à notre collection « Le Mot est faible », de manière plus ou moins consciente, son format la rapproche de ceux de certains livres Maspero. Pour ce qui est de « Chaki », il n’y aura pas de rabats et plus de signes seront intégrés par page, mais ça restera aéré. Je pense beaucoup au confort de lecture. Et il y a la question de l’accessibilité, notamment économique. Ces formats permettent de toucher un public plus large. Par exemple, la petite collection à 5 euros (« On ne peut pas accueillir toute la misère du monde »), est accessible à tous et son petit format permet de le ranger facilement.
Comment avez-vous décidé des titres à intégrer à la collection ?
Parmi les quatre titres qui paraissent en poche en novembre, deux font partis des premiers livres publiés par la maison : Paix des ménages (2016) et Les Larmes de Rome (2017). Ce sont des ouvrages d’histoire, qui intéressent notamment les étudiants, et qui touchera avec ce format un public plus large. Ces livres coutent entre 13 et 15 euros : des prix qui s’adaptent au contexte d’un pouvoir d’achat qui se resserre. On en publie quatre pour faire collection, ça leur donne une autre vie. Les regrouper dans une section « histoire » permet une meilleure visibilité en librairie.
« Serrer les coûts »
Avez-vous prévu un rythme précis de publications de poches par an ?
Il n’y a pas d’objectifs de nombre de livres par an. On va suivre l’évolution de la vie des livres. La question reste de savoir ce que je déciderais si un gros éditeur de poche venait me voir pour un de mes titres… et je n’ai pas encore la réponse. On a déjà un certain nombre de titres publiés chez Points (Le Syndrome de la chouquette et, dans sa collection féministe dirigée par Chloé Delaume, Seins), chez la petite bibliothèque Payot (Arpenter le paysage) et chez Champs (Joseph Kabris). Le poche est bénéfique pour la trésorerie, même si leurs ventes ont une incidence aussi sur celle des grands formats. Les échelles des grands éditeurs de poches sont bien différentes : leurs moyens de production et de visibilité sont, bien sûr, plus grands.
Comment s’imposer dans ce marché en tant que petite maison ?
Beaucoup de petits éditeurs font du poche : Le Tripode, Anarchasis, Liana Levi, Tristram, Asphalte… Il y a cette tendance chez les indépendants car ça permet de garder son fonds et continuer à faire vivre l’ouvrage quand le grand format s’essouffle. L’essentiel, c’est de serrer les coûts pour arriver à un prix de vente à 13 €. Et de conserver quelque chose qui reflète la maison.
Pourquoi ne pas faire que du petit format ?
On ne pourrait pas se passer des grands formats. Pour absorber les couts d’une grosse recherche, de la prépa de copies, de l’icono, il faut pouvoir se dire qu’il a d’abord une vie autour de 25 euros. On ne pourrait pas les sortir tous tels qu’on les conçoit à 13 ou 15 euros. Par exemple, Du sexisme dans le sport est ressorti en édition augmentée l’an dernier. La question se pose de l’intégrer en poche, si le grand format continue bien sa vie. On pense aussi à éviter le pilon. Donc on continue à accompagner nos livres et à suivre les stocks : il n’y a pas d’objectif de titres ou de temps.
Enfin, vous vous inscrivez dans une démarche de pensée critique et engagée. Pourquoi est-ce important pour vous ?
Pour moi, le travail d’un éditeur est celui d’un passeur. La collection « Le mot est faible », plus ouvertement engagée, marche de mieux en mieux. Parce qu’elle est utile ! Elle propose des outils critiques aux citoyens et permet aux auteurs, qui sont des chercheurs, de rencontrer un autre public, d’écrire plus court, de façon plus incisive, au contraire des écritures académiques auxquelles ils sont habitués. En octobre, paraitra le mot « Laïcité », écrit par Stéphanie Hennette Vauchez. Avec l’actualité, qui a fait la rentrée autour de l’Abaya, le livre va pouvoir être utile aux citoyens. Le petit livre « On ne peut pas accueillir tout le monde » a été vendu à plus de 11 000 exemplaires. Ce sont des livres de combat, que les librairies soutiennent. Les questions autour de l’immigration deviennent de plus en plus pressantes, c’est vertigineux. Après, ça traduit aussi un sentiment de régression, on se demande parfois comment peut-on en être encore là, à déconstruire, toujours, ce genre de choses ?