Les grands ensembles sont partis de grandes idées. Enfin, d'idées que l'on qualifiait ainsi au début du XXe siècle : « C'est la masse, c'est l'ordonnance, en un mot l'urbanisme qui fera la grandeur de la cité, et qui redonnera aux habitants de ces grandioses ensembles la confiance en soi, le désir de vivre, la joie du travail que doit accompagner la joie des sports, la vie saine. » C'est sur ce principe que s'est formé l'urbanisme français d'après-guerre, héritage d'une morale hygiéniste élaborée dans les années 1920, reprise par le Front populaire puis par Vichy. L'idée de supprimer les taudis en assainissant de nouveaux quartiers a conduit à la construction de cités-dortoirs, de cités-cafard ou de cités-canaille, où il n'y a pas que le béton qui est armé.
Xavier de Jarcy s'est replongé dans près d'un demi-siècle d'errance conceptuelle. Année par année, il fait la chronique d'un désastre annoncé. « Je tiens à restituer l'ensemble des points de vue : celui des responsables politiques, mais aussi celui des architectes, promoteurs, constructeurs, fonctionnaires, assistantes sociales, démographes, journalistes, et bien entendu celui des habitants, qui ont approuvé les choix ou les ont contestés. » Pour cela, le journaliste à Télérama, spécialiste de l'architecture et du design, a puisé dans les débats parlementaires de l'époque et dans la presse généraliste ou spécialisée. Il prend aussi cinq exemples toujours d'actualité : le Mirail à Toulouse, la Cité des 4 000 à La Courneuve, la Zup de Surville à Montereau, la Grande Borne à Grigny, la Noé à Chanteloup-les-Vignes.
Dans ce grand feuilleton des banlieues défilent Pierre Sudreau, Eugène Claudius-Petit, l'abbé Pierre, Paul Delouvrier, Edgar Pisani, Albin Chalandon ou François Bloch-Lainé. Les architectes ne sont pas oubliés, à commencer par le plus influent, Le Corbusier qui a porté la doctrine de la grande hauteur avec des « immeubles monstrueux de dix ou vingt étages ». Xavier de Jarcy lui avait consacré un livre remarqué : Le Corbusier, un fascisme français (Albin Michel, 2015).
Cette histoire du logement social, où les grandes villes sont des aspirateurs qui vident les provinces, montre que l'on a mis la barre d'immeuble un peu trop haut. En voulant trop bien faire, on fit mal, très mal même. A l'époque, certains eurent conscience de cette erreur et honte de ces murailles de béton. Dans les années 1950, Guy Debord se moquait de l'apparition du style caserne. « Dans le cadre des campagnes de politique sociale de ces dernières années, la construction de taudis pour parer à la crise du logement se poursuit fébrilement. »
Et pourtant, dans cet univers concentrationnaire, tout était censé s'y trouver, le confort, les commerces, les services, mais personne ne s'y est retrouvé. On inventa même une nouvelle population : « ceux des cités ». Richement documentée, cette vaste enquête montre l'origine du malaise urbain et l'absence de réflexion sur la ville qui perdure aujourd'hui.
Les abandonnés : histoire des « cités de banlieue »
Albin Michel
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 24 euros ; 460 p.
ISBN: 9782226439451