Après un premier roman aussi magistralement réussi que Le retour de Jim Lamar, distingué par Livres Hebdo puis par toute la presse, et qui a reçu pas moins de douze prix littéraires depuis sa parution (en 2010 chez Liana Levi, repris dans sa collection de poche « Piccolo »), on attendait impatiemment la suite de l’œuvre de Lionel Salaün. Lequel a bien fait de prendre son temps pour peaufiner : l’écriture de Bel-Air est impeccable. Pour le reste, le roman est à la fois différent du premier, tant mieux, et fidèle à l’univers de Salaün, tant mieux aussi.
Bel-Air, c’est une histoire de garçons, dans une cité prolo des environs de Chambéry, en 1956. C’est aussi le nom du bistrot que tient la famille Lecreux, les parents et leur fils Gérard. De parfaits beaufs, façon Cabu. Mais Gérard fait partie de la bande de Franck Jakubowicz, alias Jacky le Polak, le narrateur, c’est même son ami. Du moins au début. Les autres, Roger le footeux (qui deviendra assureur !), Antoine l’accro de moto (qui séduira et épousera la jolie Chantal), Serge, grand amateur de cuisine et de poulettes, ne sont que des potes.
Mais voilà, la France, depuis quelque temps, est en train de s’embourber dans le guêpier algérien, où se déroulent ces fameux « événements » qui finiront par devenir une sale guerre. Dans la cité, il y a bien sûr des Algériens, et des gros cons racistes, sympathisants de l’OAS. Dont les Lecreux, et même Gérard, un temps. Erreur de jeunesse. Mais Franck ne lui pardonnera jamais vraiment ce dérapage.
Heureusement pour lui, à un bal du 14 Juillet, il rencontre Cathy, la fille du directeur du service des hypothèques, un rupin. En dépit de sa médiocrité sociale (il survit de petits boulots minables), de son laconisme, le garçon ne déplaît pas (euphémisme) à la belle. De rendez-vous clandestins en flirts de plus en plus poussés, c’est même le grand amour, le premier. Quand Franck est appelé par l’armée et affecté en Algérie, Cathy se donne à lui, en lui jurant : « Je t’attendrai. » Mais lui, bien qu’il n’ait pas lu Boris Vian, préfère se faire la belle. Dénoncé (mais par qui : Gérard ou un autre ?), cette désertion assortie d’une tentative de hold-up lui vaudra quinze ans de taule.
Pendant ce temps-là, le Bel-Air, que Gérard avait, à la mort de son père, modernisé dans le goût US (néon, juke-box, flipper et tutti frutti), a périclité, tout comme la cité. Les deux amis s’y retrouvent pour une explication nostalgique, le corps du roman se déroulant, lui, tout en flash-back.
Original, Bel-Air plus mélancolique quele nerveux Le retour de Jim Lamar. Mais original et bien foutu. On dirait un peu une reprise française d’American Graffiti par Michel Delpech, du genre Tu me fais planer. Franck, lui aussi, a été un moment « le roi du bal » : mais où sont les Cathy d’antan ?
J.-C. P.