C'est juste après son séjour parisien que l'on a appris que Sebastian Barry venait de se voir attribuer, pour On Canaan's side, le prix Walter-Scott du roman historique. Remis durant le Festival du livre de Melrose, en Ecosse, le prestigieux award est doté, par Sa Grâce le duc de Buccleuch, de 25 000 livres sterling. Recevant son prix, le récipiendaire s'est dit "particulièrement sans voix". Ce qui ne nous surprend guère.
Si Sebastian Barry se revendique par bien des aspects essentiels - ne serait-ce que toute son oeuvre, présente et à venir - comme viscéralement irlandais, il se montre plutôt atypique par rapport à l'image que l'on se fait généralement de ses compatriotes. Il ne boit pas d'alcool, vit solitaire en famille - sa femme, "protestante", précise-t-il, et leurs trois enfants, dont l'aîné, Marlin, 19 ans, est "à la fois dyslexique et auteur de nouvelles tellement bonnes [qu'il aimerait] les lui voler !" - dans un ancien presbytère des montagnes de Wicklaw, à l'est de son pays, qu'il quitte le moins souvent possible. "C'est près de rien, précise-t-il, dans la partie la plus inaccessible de l'Irlande." Barry est presque un taiseux, qui manie volontiers un humour pince-sans-rire, qu'on n'ose qualifier de "british".
D'autant qu'il se dit "très intéressé, comme la plupart de [ses] compatriotes, par ce qui se passe actuellement en Ecosse". La façon dont les Ecossais sont en train de conquérir une indépendance de plus en plus large par rapport à l'Angleterre, ce qui préfigure peut-être l'avenir de l'Ulster. "La réunification des deux moitiés de l'Irlande, reconnaît l'écrivain, est un de nos grands silences..."
Depuis ses débuts en littérature, dans les années 1990, Sebastian Barry n'a, en fait, écrit que sur l'Irlande, vue à travers l'histoire de sa propre famille, transposée parfois, voire réinventée. Ainsi le personnage de Lilly Bere, l'héroïne de Du côté de Canaan, qui, à 89 ans, revit et raconte elle-même la façon clandestine dont elle a quitté son pays en 1921 pour l'Amérique, puis la vie plus que mouvementée qu'elle y a menée, lui a été inspiré par une de ses grands-tantes. "J'ignorais tout de sa vraie histoire, explique Barry, c'est un cousin qui me l'a racontée. Notamment comment son mari, catholique mais loyaliste et ancien soldat dans l'armée anglaise, donc un "collabo", avait été exécuté par l'IRA à Chicago." "Ces gens-là, ajoute-t-il, on les a dans son ADN." Il avait déjà écrit sur le frère de Lilly, Willie. Quant à elle, elle était apparue dans l'une des pièces que Barry a écrites avant de se lancer dans le roman, Le régisseur de la chrétienté.
Né en 1955 dans une famille d'artistes - grand-père peintre, père poète, mère actrice -, Sebastian a suivi ses études au très prestigieux Trinity College de Dublin. Il y taquine la Muse, "écrivant quelques-unes des pièces - les moins connues - de Samuel Beckett", prenant conscience d'une chose : "je ne serais pas le nouveau Bob Dylan - j'ai essayé !". Une passion pour la chanson qui ne l'a pas quitté : parmi ses travaux récents, il a écrit deux textes pour Rita Connolly, une Irlandaise bien moins illustre que Bono : "Mais, lui, je ne le connais pas !" dit-il.
Vers la fin des années 1970, Barry a pas mal bourlingué, menant la vie de bohème à Paris, tout près du Panthéon, "comme Hemingway, cet écrivain irlandais", pour qui Paris est une fête. "C'était aussi une très belle femme qui ne voulait pas de moi !" Il se laisse alors "porter par le vent", vers les Etats-Unis, la Grèce (où son père possède une maison), et même la Suisse... Puis il revient au bercail. Deux tentatives - infructueuses - pour exercer de "vrais" métiers : libraire et analyste financier. Sebastian Barry entame alors une carrière de dramaturge, avant de passer au roman. Annie Dunne, Un long long chemin et surtout Le testament caché (1), son best-seller, lui ont apporté une notoriété, nationale et internationale. Ses livres sont traduits dans trente-quatre langues. En français, Du côté de Canaan est son quatrième titre publié par les éditions Joëlle Losfeld. Une fidélité dont il se dit "touché", et qui lui fournit l'occasion de revenir à Paris, se réconcilier avec sa période de "vache enragée" et mettre ses pas dans ceux de Beckett : "A l'époque, je connaissais un de ses amis. Mais j'étais trop jeune, trop fier et trop idiot pour demander à le rencontrer !" Pourtant, ces deux Irlandais-là ont beaucoup en commun.
(1) Parus en Fance, respectivement, en 2005, 2006 et 2009.
Sebastian Barry, Du côté de Canaan, traduit de l'anglais (Irlande) par Florence Lévy-Paoloni, éditions Joëlle Losfeld, 275 p., 19,50 euros, ISBN : 978-2-07-244899-7, mise en vente le 31 août.