Comment est né le projet ?
Le Dictionnaire des francophones est une commande faite par le président de la République en 2018. Le projet a été confié à un laboratoire de l’université Jean-Moulin à Lyon, lui-même sous l’autorité d’un conseil scientifique que je préside.
Il ne s’agit pas d’un dictionnaire classique… comment fonctionne-il ?
Le dictionnaire des francophones est un outil numérique qui a une fonction de géolocalisation. Par exemple, si vous vous trouvez au Québec, vous trouverez les emplois d’un mot qui se font au Québec. Au-delà de la fonction de compilation du dictionnaire, il y a aussi un aspect collaboratif. Il faut que chacun puisse se dire : « Tiens, il y a ce mot que j’utilise tous les jours mais qui n’est pas dans le dictionnaire, je vais le rajouter. »
Comment cette fonction collaborative fonctionne ?
N’importe qui peut entrer des mots, des sens, des emplois et des définitions. Il est possible d’ajouter des termes mais aussi de compléter les définitions données par ses paires … c’est ça l’esprit wiki ! Pour éviter toute intervention odieuse, le laboratoire qui a fait le dictionnaire a également instauré une veille constante et le conseil scientifique forme un groupe de relecture.
Cette dimension ludique est-elle une manière de réinventer le dictionnaire ?
C’est plutôt une autre manière d’aborder la langue. On a trop souvent défendu la langue française de façon un peu puriste, officielle et sérieuse. Si nous voulons que le français garde sa place dans le monde, par rapport à l’anglais en particulier, il faut le rendre joyeux et désirable !
Le dictionnaire compte déjà plus de 400000 mots dont de nombreux jamais répertoriés, a-t-il aussi une vocation mémorielle ?
Oui, la dimension patrimoniale est très présente. Le français est un immense capital où les mots sont pourvus de nombreux sens. « Bâton » par exemple, c’est une crosse de hockey en Suisse, c’est aussi un club de golf au Québec et en Afrique, c’est une cigarette. Toute cette richesse, c’est un patrimoine qui est en train de se construire devant nous.
Une richesse qui n’a d’ailleurs pas toujours été mise en avant…
De 1850 à 1950, on publiait en Belgique et au Québec des titres pour corriger son français. Mais cette période est finie. Durant ma carrière d’universitaire, j’ai vu disparaître peu à peu cette honte vis-à-vis des variantes du français. Aujourd’hui, il faut être fier de parler le français du Rwanda, celui du Québec et ou celui du Sénégal. C’est ce que nous voulons affirmer dans notre dictionnaire.