Livres Hebdo - Maylis de Kerangal a reçu hier soir au Salon du livre de Paris le grand prix RTL-Lire. C’est un choix évident ?
Bernard Lehut - Réparer les vivants (Verticales) a obtenu une inattendue majorité absolue au regard de la qualité de la sélection : 51 jurés sur 100 ont voté pour elle ! La nouveauté, cette année, est que la lauréate a été l’invitée exceptionnelle de "Laissez-vous tenter" lundi dernier. Le grand prix RTL-Lire fêtera ses 40 ans en 2015, ce qui fait de lui le plus ancien prix de lecteurs, avec le prix du Livre Inter, également créé en 1975. On en est très fier car il est à la fois un prix de lecteurs et de libraires. Mais toute la logistique passe par moi et je trouve toujours excitant de voir l’arrivée des votes, qui fait penser à une course de chevaux.
Ce roman était déjà dans les meilleures ventes avant l’annonce du prix. Le prix peut-il inversement aider un roman à y entrer ?
Oui, le grand prix RTL-Lire a des choix pertinents en phase avec le grand public. Et il n’est pas toujours reconnu à sa juste valeur. Ces dernières années ont aidé par exemple à révéler Fabrice Imbert, Kim Thuy ou encore Jean-Luc Seigne. Des auteurs déjà installés comme Mordillat ou Boualem Sansal ont réalisé leurs meilleures ventes grâce au prix. Et certains grands prix RTL-Lire ont changé la vie de leurs auteurs, comme celle de Philippe Besson, qui après avoir été couronné, a décidé de devenir écrivain à plein-temps. Le prix est un véritable soutien rédactionnel, accompagné d’une campagne de pub sur les ondes.
Parler de culture à 9 heures du matin sur une radio grand public était un challenge que vous avez relevé il y a treize ans. Le rendez-vous a-t-il été long à s’installer ?
Le succès a été immédiat avec une audience constante de 1,7 million d’auditeurs. Dans le paysage radiophonique, c’est l’émission culturelle la plus écoutée, quand la concurrence capte environ 1 million d’auditeurs. Je viens de retrouver une dépêche AFP qui annonçait la création de l’émission "Laissez-vous tenter" à la rentrée 2001 et je constate que les principes annoncés au départ existent toujours. Elle a été lancée par Noël Couëdel, l’ancien patron du Parisien devenu directeur de l’info à RTL, au moment des 35 heures. Il s’agissait d’aider les gens à occuper leur temps disponible. Son intuition a été bonne.
N’êtes-vous pas le précurseur des chroniques culturelles qui se sont multipliées un peu partout ?
A la création de "Laissez-vous tenter", Jean-Marie Cavada, alors président de Radio France, avait dit avec regret dans Stratégies : "Ça, c’était une idée du service public !" Il y a eu dans les années suivantes sur Europe 1 des tentatives incarnées par Jean-Marc Morandini, Michel Field ou Daniel Schick, mais ça n’a pas pris. Ici, c’est le côté familial qui fonctionne. C’est un travail d’équipe avec une grande indépendance de choix pour les chroniqueurs placés sous la direction d’Anthony Martin, le chef du service culture. La culture à l’antenne - et le prix - a toujours été soutenue par les directeurs successifs et encore aujourd’hui par notre président Christophe Baldelli. C’est un patron qui aime les livres et on le sent à l’antenne, où les livres jeunesse sont aussi présents grâce à Laurent Marsick, et la BD grâce à Monique Younès.
Quelle est, pour vous, la clé du succès de "Laissez-vous tenter" ?
Parler de culture d’une manière très conviviale, sans la sacraliser. On sait que notre auditorat est très vaste et très varié, issu de toutes les couches de la population. Certains sont familiers de la culture, d’autres beaucoup moins, et ce sont ceux-là qu’il faut retenir et convaincre qu’elle leur est accessible. Il faut montrer que la culture donne du plaisir, que l’on peut lire un bon livre, voir un bon film. Pour la démocratiser, il faut en parler dans la bonne humeur en pratiquant l’éclectisme. On parle d’auteurs populaires et une fois que le lien de confiance s’est créé, l’auditeur va sur des choses plus difficiles.
Y a-t-il un type d’ouvrages RTL ?
Non ! Je ne veux pas me laisser enfermer dans cette étiquette, c’est un mal qui frappe un peu la critique française. Compte tenu de l’étendue de notre public, on ne peut pas avoir d’a priori. Et on s’aperçoit avec le recul que les choix de RTL sont plutôt en phase avec les achats des lecteurs. Le livre a toujours eu une place importante à RTL. Jean-Pierre Tison, qui l’a longtemps porté, était un des journalistes littéraires les plus respectés.
Vous animez deux émissions, les choix sont-ils différents ?
"Les livres ont la parole", le dimanche matin, a une connotation plus littéraire. Les auteurs dits grand public iront davantage vers "Laissez-vous tenter". C’est un rendez-vous multiculturel et les gens qui nous écoutent peuvent ne pas être intéressés par les livres mais plutôt par le cinéma. Il est plus facile de les séduire avec des livres consensuels, d’un auteur dont le nom leur dit quelque chose tandis qu’une connivence avec le public plus ciblé du dimanche permet des choix plus difficiles.
Même pendant l’été, le soutien de RTL pour le livre ne se dément pas.
La grille de l’été prochain est encore à l’étude mais ses deux rendez-vous habituels, "Les livres de l’été" et "Chemin d’écrivain", dont l’enregistrement est toujours pour moi une véritable récréation, devraient être reconduits. Les auditeurs ont ainsi l’occasion de découvrir leurs écrivains préférés dans un environnement moins convenu que celui de la promotion et qui suscite plus facilement la confidence ou révèle des aspects inédits de leur personnalité.
Comment jugez-vous la production éditoriale ?
Parfois on entend des discours blasés de gens un peu trop gâtés. Globalement, je trouve la production très variée, très intéressante, et le livre, qui fait la une des journaux au moment des prix, recueille encore chez nous une grande considération. La production a un peu évolué avec réduction de la part de l’autofiction. Sans doute à cause de la crise, les auteurs montrent un intérêt croissant pour la marche du monde et la société, et le social fait irruption dans le champ romanesque. Mais la production n’est pas pour autant sinistre ! Romain Puértolas prouve qu’on peut évoquer des problèmes d’actualité, le sort des migrants, le trafic des humains avec humour. Le formidable privilège du romancier est de pouvoir parler de choses sérieuses sans être déprimant.
En dehors de son prix, quel impact a RTL sur les ventes de livre ?
Le plus mesurable se voit sur la vente en ligne. C’est évidemment plus facile de se connecter pour acheter tout de suite le livre dont on vient d’entendre parler. Quand j’ai évoqué par exemple le roman policier d’Emmanuel Grand, Terminus Belz, le jour même son éditrice Liana Levi a vu les ventes augmenter, et il peut arriver que l’émission entraîne un réassort chez les libraires. Figurer dans les plans médias et être courtisé comme nous le sommes prouve aussi que l’on est prescripteur. Par exemple, Katherine Pancol n’a fait que deux radios, RTL et France Inter chez Pascale Clark.
La publicité littéraire est également très présente sur RTL...
Les éditeurs sont de plus en plus nombreux à venir sur les ondes et si XO a été l’un des pionnniers, Gallimard, Flammarion ou Albin Michel s’y sont mis. C’est révélateur du rôle de la radio, un média qui consacre pas mal de temps d’antenne au livre car il lui est adapté. Il donne plus de temps aux auteurs que la télévision, mais il faut des gens qui tiennent le micro car c’est aussi du spectacle.