Les chats ont, paraît-il, neuf vies. Bertrand Morisset fonctionne, lui, par cycles de sept ans. Mais il a, des chats, l’habileté à toujours retomber sur ses pattes. On l’a connu - entre autres - deux fois directeur du Salon du livre de Paris. Deux fois, il en a été remercié. Mais il est toujours là, et Tome 2, son agence d’ingénierie culturelle, a engrangé quelques nouveaux contrats qui vont lui permettre de se relancer. Incroyable Morisset, avec un "M" comme "Même pas mort"… "Ni mort, ni à la retraite", tient à préciser l’intéressé. Même si la retraite finira bien par arriver un jour, puisque voilà presque trente-cinq ans qu’il est un acteur du monde du livre. C’est en 1983, en effet, qu’il fonde sa première maison d’édition, Ellébore. Au programme : bien-être et développement personnel. Un créneau encore embryonnaire : "On était un peu en avance."
En 1990 - sept ans plus tard -, son associé le quitte. Bertrand Morisset lance une nouvelle maison d’édition, qui porte cette fois son nom, sur la même ligne éditoriale. L’un des best-sellers de la maison sera du reste Le Kama-sutra moderne. Passent encore sept années, pendant lesquelles Bertrand Morisset intègre le bureau du SNE, où il est l’un des représentants les plus actifs de la petite édition.
Une invitation qui ne se refuse pas
C’est ainsi qu’il se fait remarquer par Jean-Marc de Chauvigny, alors commissaire général du Salon du livre de Paris. En 1994, l’OIP, la société organisatrice du salon, passe dans le giron de Reed Exhibitions (filiale de Reed Elsevier). En 1997, Jean-Marc de Chauvigny se voit offrir la présidence de la nouvelle entité Reed OIP. Il propose à Bertrand Morisset de lui succéder au Salon du livre. Pareille invitation ne se refuse pas. Bertrand Morisset renonce donc à sa maison d’édition - "J’ai fermé proprement", tient-il à souligner - et se lance dans l’aventure.
Pour une fois, celle-ci avorte avant sept ans. Sur son départ quelque peu précipité en 2002, Bertrand Morisset, qu’on connaît plus franc du collier, affiche des pudeurs de jeune fille : "Je préfère qu’on ne revienne pas là-dessus." En gros, il avait tenté de faire un enfant dans le dos à Reed, qui en retour se montra intraitable sur sa vertu (ou plus exactement, ses intérêts). S’ensuit une période moins glamour, pendant laquelle Bertrand Morisset travaille pour une autre société organisatrice de salons (notamment le Salon du meuble…), qui souhaitait développer une niche culturelle. La société est vendue en 2007, et voilà Bertrand Morisset à nouveau sur le trottoir.
Une très grosse affaire
Il crée alors une petite boîte d’ingénierie culturelle, Tome 2, spécialisée dans les événements jeunesse et BD. Mais le salon de Paris se réinvite dans son CV. Des frondes se font jour contre l’organisation de cette manifestation en perte de vitesse, mais qui reste une - très - grosse affaire. Un temps, Reed craint de perdre son contrat. Bertrand Morisset est de ceux qui militent pour convaincre le SNE de continuer avec Reed. Il s’en voit récompensé en redevenant directeur du salon en 2009. Mais il garde la gérance de Tome 2, qui devient prestataire pour l’organisation du salon de Paris.
Sept ans plus tard, patatras : Bertrand Morisset doit renoncer à son poste. La séparation, cette fois, est plus feutrée. Vincent Montagne, le président du SNE, souhaite "réenchanter" une manifestation qui a perdu beaucoup de son attrait en trente-cinq ans d’existence. "Il fallait aussi un nouveau visage", résume, philosophe, Bertrand Morisset. Accessoirement, quelqu’un qui sache, aussi, mieux arrondir les angles dans une période pour le moins tendue.
Car Bertrand Morisset a les défauts de ses qualités. "C’est un maquignon, un vrai, avec les avantages et les inconvénients que cela implique", commente un connaisseur du salon. En clair, c’est un bosseur, très impliqué dans son travail, qu’il connaît sur le bout des doigts. C’est aussi un négociateur "qui sait faire rentrer l’argent", poursuit notre commentateur. Mais l’animal est connu pour son franc-parler (euphémisme) et son langage souvent fleuri diversemnt apprécié à Saint-Germain-des-Prés. En 2016, furieux contre Gérard Collard, le médiatique libraire de Saint-Maur à qui il reproche "de faire du bashing sur le Salon du livre", il lui adresse une lettre où il le traite entre autres "d’archétype du revanchard" et lui lance : "Vous êtes tellement imbu de vous-même que vous en débordez de suffisance."
Son deuxième départ du salon de Paris aurait pu le couler : la manifestation apportait plus des deux tiers du chiffre d’affaires de Tome 2. Mais, avec son associée, Lucile Charlemagne, Bertrand Morisset n’a mis que six mois "pour se réinventer et se redéployer". En clair, l’agence s’est tournée vers les marchés publics et les festivals du livre en région : "Quand on a fait Paris, on doit arriver à faire plus petit, tout en sachant que les tâches et les exigences sont les mêmes." Tome 2 a décroché le Festival du livre du Var (à Toulon, en novembre prochain) et l’édition 2018 de Lire à Limoges. Le marché, cependant est concurrentiel, d’autres agences (Faits et gestes, Façon de penser…) œuvrant sur le même créneau : "Pour s’imposer, il faut avoir de la réactivité, honorer le client et surtout, bien accompagner les auteurs." Tome 2 s’acquitte aussi de missions plus "transversales" : l’agence pilote par exemple "48H BD" et, cet été, elle a coordonné "Partir en livre".
Multifacette
Par ailleurs, Bertrand Morisset est devenu conseiller au développement du Salon du livre de Genève : il accompagne Adeline Beaux, sa directrice, dans sa mission de relancer la manifestation. Bref, le nouveau chapitre qui s’ouvre s’annonce "multifacette".
En revanche, pas question pour Tome 2 de produire elle-même des événements. Le fiasco de Art Neuf, une foire des galeries de bande dessinée imaginée par Bertrand Morisset en 2013, lui a servi de leçon. Reportée deux fois, la manifestation ne s’est finalement jamais tenue : "Les galeristes ne nous ont pas suivis et, honnêtement, nous n’avons pas été très bons sur le coup." Morisset, qui est golfeur dans l’âme, sait qu’on ne réussit pas toujours ses putts…