Blog

Comment penser l’ampleur du vote Front National du point de vue des bibliothèques ? Après tout, ces équipements ne sont pas « hors sol ». Ils sont inscrits dans un milieu dont ils doivent tenir compte.

Si les élections européennes n’étaient pas minorées par les élites politiques, le 25 mai 2014 aurait pu devenir une date historique comme l’est devenue celle du 21 avril 2002. Passé le désarroi des premières heures après le vote, ce qu’il exprime est oublié. On ne peut pourtant pas cacher un malaise… Le commentaire consistant à minimiser l’ampleur de la vague du fait du faible niveau de participation n’est pas faux mais il est confortable et ouvre la voie à l’évacuation du problème. Pourtant, il serait bon d’entendre ce que J. –C. Kaufmann a appelé ce « cri muet » (L’invention de soi, p. 236) pour désigner cette réaction violente de ceux qui adoptent généralement une posture de retrait et se définissent à travers des statuts fragilisés par la précarité économique et la nécessité de se construire une identité personnelle. Ce cri témoigne d’une défiance vive à l’égard du système politique et constitue une menace à l’égard de la démocratie et les bibliothèques qui en sont les filles...

Partons de constats. Le Front National a en commun deux déterminants avec ceux de la fréquentation des bibliothèques. Plus le niveau de diplôme augmente et plus les individus tendent à la fois à fréquenter les bibliothèques et à se détourner du vote Front National. D’après l’enquête Pratiques Culturelles des Français (PCF) 2008, 88% des sans diplôme n’ont pas fréquenté de bibliothèque au cours des 12 derniers mois et la proportion diminue de moitié pour les plus diplômés (Au-delà de bac+3). D’après le sondage sortie des urnes de l’IFOP, la proportion de votants Front National passe de 30% chez ceux qui ont un diplôme inférieur au bac à 7% pour ceux qui ont au moins une Licence. La proximité avec l’univers scolaire favorise la fréquentation des bibliothèques et détourne du vote nationaliste. Est-ce à dire qu’une fréquentation plus large des catégories les moins diplômées diminuerait le vote Front National ? La réponse est bien sûr loin d’être certaine tant la fréquentation d’un service public tel que celui d’une bibliothèque ne saurait constituer la coordonnée pivot de l’adhésion à l’univers des institutions démocratiques.

Pourtant on pourrait l’espérer et imaginer qu’une forte insertion de la bibliothèque dans sa communauté locale serait à même de favoriser un sentiment de confiance des citoyens à l’égard de ce qui pourrait leur paraître lointain. C’est là un défi particulier aux petites bibliothèques rurales. En effet, on sait que le vote FN augmente au fur et à mesure que l’on s’éloigne des centres urbains qui structurent la vie économique et culturelle. C. Guilluy et C. Noyé l’avait déjà montré il y a 10 ans dans l’Atlas des nouvelles fractures sociales en France et cela est encore vérifié pour le dernier scrutin. Or l’enquête PCF 2008 montre que la propension à ne pas venir en bibliothèque est la plus faible à Paris (57%) et augmente au fur et à mesure qu’on s’en éloigne pour atteindre un maximum dans les communes rurales (78%). C’est dire que c’est dans les zones rurales (et plus largement populaires) que les bibliothèques ont le plus de mal à intéresser la population et c’est dans ces conditions que leur fréquentation pourrait être le plus stratégique pour limiter l’audience du Front National…

Ces éléments de réflexion invitent à une étude plus approfondie qui pourrait rechercher à mettre localement en évidence l’existence d’un lien (ou non) entre la capacité de la bibliothèque à s’ancrer dans la collectivité et le niveau du vote Front National. Ce serait une façon de ne pas évacuer le problème et de chercher des pistes pour le résoudre en partant des faits et non de principes abstraits à l’efficacité incertaine. Si donc vous êtes dans une bibliothèque, n’hésitez pas à témoigner sur ce thème à partir de vos observations locales….

Les dernières
actualités