Qu’est-ce que le luxe ? L’objet précieux que personne ne possède ? Ou ce qui distingue ceux qui en jouissent de ceux qui n’en jouissent pas ? Les deux, mon général. Le luxe, c’est à la fois une chose tangible (la salière en or massif de Benvenuto Cellini réalisée pour François Ier ou une exorbitante œuvre d’art contemporain signée Damien Hirst ou Jeff Koons) et un état d’esprit : le sentiment de distinction lié au caractère rare ou superflu d’un objet ou d’une pratique (des vols spatiaux seront proposés aux milliardaires en mal d’exotisme), le plaisir qui s’attache à ce sentiment-là.
Alliant l’hédonisme et le désir d’ailleurs qui rompt avec l’ennui du quotidien, le luxe est une donnée anthropologique, en cela il est éternel. A chacun son luxe : pour untel sans eau courante, ce sera un bon bain chaud, pour tel autre un cigare.
Henri Baudrillart, auteur d’Histoire du luxe (1880), dénombrait quatre « explications » du phénomène : la concupiscence sensuelle, l’orgueil d’ostentation, le goût de l’ornement, le goût du changement. Dans Le nouveau luxe, Yves Michaud réévalue ces critères au prisme de notre époque consumériste-hédoniste, en les subsumant dans la catégorie « plaisir ». A l’ère de la démocratisation de masse et de la mondialisation, le luxe s’est industrialisé et, partout, s’est rendu « accessible » tout en jouant sur le tableau de la rareté. Le parfum est un bel exemple du paradoxe : jadis vendu par des enseignes exclusives, il est désormais distribué à grande échelle pour le mass market mais doit continuer à faire fantasmer en s’incarnant dans des égéries publicitaires, recrutées dans le gotha des vedettes de cinéma. « Le luxe se situe à la jonction de cette double quête de l’intensité de l’émotion et de la continuité de la vie rêvée », note l’auteur. « Il s’agit de concilier l’inconciliable : l’intensité et la continuité facile, la singularité et le conformisme, le conditionnement artificiel et l’authenticité. » Nouveau visage du luxe avec la substitution de la notion d’élite par celle de VIP : dans la société de l’hyperspectacle des people et de la téléréalité, le luxe reflète cette permanente réinvention de soi hystérique et tend à une ostentation encore plus exacerbée. Blingo !
S. J. R.