J’ai ri souvent en lisant Itinéraire spiritueux , de Gérard Oberlé (Le Livre de poche). Le fait n’est pas si fréquent. Merci donc à ce buveur de bonne compagnie de m’avoir fait partager, dans la joie, quelques moments alcoolisés. Le vin n’est pas triste, finalement, du moins quand il est bien choisi. Car il y a quand même des moments difficiles, comme le lendemain d’une bouteille de mauvais alcool vidée avec Jim Harrison, contre toutes les indications de la Faculté – Gérard Oberlé avait, en ces temps-là, le foie fragile. Cela semble s’être arrangé. Tant mieux pour lui et pour nous. Je n’ose imaginer ce qu’il serait devenu s’il avait vraiment dû arrêter de picoler. Un triste sire la ramenant avec sa culture immense, puisée à diverses sources toujours pertinentes, mais qu’il aurait alors assénée avec prétention. Au lieu de quoi il se promène dans les vignes et les livres avec un bonheur égal, et la volonté de pratiquer l’amitié dans la fréquentation des flacons, des hommes et des livres. (Dans « livre », il y a « ivre », on ne le dira jamais assez.) Je pourrais reprendre bien des anecdotes dans ce récit savoureux. Je vous en confie une, parce qu’elle fait intervenir un autre écrivain, fier buveur en compagnie duquel il m’est arrivé plusieurs fois de frôler, puis de dépasser le stade de l’ivresse : Jean-Claude Pirotte, auteur des Contes bleus du vin (et dont je vous conseille vivement, bien que ce ne soit pas au format de poche, le dernier recueil paru, Revermont, au Temps qu’il fait). Gérard Oberlé avait bu avec lui, dans un bar d’hôtel à Carcassonne, « au souvenir des poètes trépassés ». Puis était allé dormir. Le lendemain matin, il retrouve Pirotte au même bar, devant un whisky : il n’en avait pas bougé de la nuit. Il arrive encore à m’impressionner, ce bougre. (Lui et moi, c’étaient plutôt de riches bières belges et catholiques.) Un qui ne m’a jamais impressionné, et qui n’est d’ailleurs pas poète, dont les apparitions à la télévision et les discours emportés, souvent d’ailleurs à l’emporte-pièce, me hérissent le poil, c’est Jean-Pierre Coffe – dont, je dois le reconnaître en admettant que cela fausse probablement mon regard sur lui, je n’ai jamais ouvert un livre. Cela me semblait impossible, mais Gérard Oberlé m’a obligé à revoir mon jugement : il en fait un homme doté de telles qualités qu’il doit forcément être plus aimable que je le croyais. Je vous laisse. Il semble urgent d’aller boire un petit verre de toaka gasy, un rhum artisanal dont la production est interdite, mais il en est qui sont si savoureux…