18 septembre > Récit France

Enfin, Baptiste-Marrey (écrivain singulier, dramaturge et poète, qui, jusqu’en 1982, signait de son vrai prénom, Jean-Claude) est venu à bout de son projet : témoigner à sa façon, admirative et modeste, de la relation amicale qu’il a entretenue avec Albert Camus, de 1953, date de leur rencontre fortuite, jusqu’à la mort soudaine de l’écrivain, en 1960. Cela nous vaut un livre personnel, un peu de guingois mais chaleureux. Et ils ne sont plus très nombreux, ceux qui ont connu le Camus dont la France commémore aujourd’hui le centenaire en grand arroi, célébration qui prend les allures d’une réhabilitation. On n’a pas oublié les attaques virulentes dont l’écrivain fut la cible de la part de toute une partie de « l’intelligentsia de gauche » (à laquelle il n’a jamais appartenu), surtout après la violente polémique de 1952 à propos de L’homme révolté, dans Les Temps modernes. «L’histoire Sartre n’a pas beaucoup d’importance, mes sentiments personnels mis à part », confiait Camus à Baptiste-Marrey en 1953, mais il souffrit jusqu’à la fin de ses jours de ce rejet, de ce mépris, de cette hostilité idéologique.

Marrey a fait la connaissance de Camus en 1953, à Cabris, dans l’arrière-pays grassois, village d’une importance capitale pour notre histoire littéraire. C’est là que la « tribu Gide » avait élu domicile, aux Audides, propriété des Van Rysselberghe, ses intimes. Comme chez lui, Gide y a reçu, entre autres, ses amis Malraux, Saint-Exupéry, Martin du Gard, Sartre ou Camus, donc. Après la mort de l’auteur du Retour de l’URSS, dont il admirait le courage, c’est aux Audides, justement, que Camus écrivit son Homme révolté. A Cabris, il y avait aussi la maison de Marie de Saint-Exupéry, mère d’Antoine, et la Messuguière, le domaine d’Aline Mayrisch, qui était devenue une « résidence d’écrivains » pour le tout-Gallimard. D’où la présence du jeune Marrey (23 ans à l’époque), lequel nourrissait déjà des ambitions littéraires.

Avec Camus solitaire, simple, élégant, disponible, s’installe vite le ton du débotté, voire de la confidence. Il est question de football - l’écrivain, qui avait joué goal en Algérie, était un aficionado -, de tuberculose - dont il avait été affligé jeune -, de Tolstoï, l’auteur qu’il admirait entre tous, de l’Algérie, bien sûr : un demi-siècle après, Baptiste-Marrey fit à Tipasa un émouvant « pèlerinage » camusien qu’il raconte vers la fin de son livre. Il est aussi beaucoup question des femmes. « Camus n’a jamais parlé avec moi de sa tumultueuse vie privée, note Marrey, mais l’apparition de la moindre charmante (c’est ainsi qu’il nommait les jolies filles) suscitait chez lui un visible frémissement ». Camus le séducteur, sensible aux « ravageuses », comme il les appelait aussi, l’amant de Maria Casarès, rencontrée grâce au théâtre et à sa « camaraderie ». C’est grâce à lui que son jeune ami fit ses débuts dans la mise en scène, en Lorraine.

Leur relation s’était en effet épanouie : quelques revoirs, quelques rendez-vous. Dont un chez Gallimard, où Camus était directeur de collection, et a d’ailleurs refusé à Baptiste-Marrey ses premiers manuscrits ! Et puis il y eut le Nobel (en 1957), la gloire, et le véritable tourbillon où Camus se trouva emporté, jusqu’à sa mort prématurée. Il trouva pourtant le temps d’écrire Le premier homme, une espèce de confession posthume. Et d’adresser des lettres à Baptiste-Marrey : on aurait aimé pouvoir les lire. Jean-Claude Perrier

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