Quatre générations, trois continents, plusieurs langues vivantes en VO sous-titrée… Danse noire, le dernier roman de Nancy Huston, projette sur écran panoramique une production au casting international. Difficile de faire le pitch de cette fresque qui traverse tout le siècle dernier enjambant gaillardement les océans de Dublin à Montréal jusqu’à Rio, de cette chorégraphie pour plusieurs solistes rythmée par les figures et les codes de la capoeira, la danse-lutte brésilienne. Au scénario et à la caméra, le narrateur, un réalisateur new-yorkais d’origine argentine, Paul Schwarz, qui tente d’écrire un film inspiré de la vie accidentée de son compagnon, Milo Noirlac, en train de mourir sur un lit d’hôpital.
Sophistiquant un peu plus encore le dispositif de Lignes de faille, prix Femina 2006, la romancière canadienne anglophone, installée à Paris depuis près de quarante ans, tire et tresse trois fils principaux qui relient le lecteur aux destins de Milo, né au Québec en 1952, et de ses ascendants : sa mère Awinita, une jeune prostituée canadienne d’origine indienne, et son grand-père paternel, Neil Kerrigan alias Noirlac, Irlandais exilé à Montréal au début des années 1920. Ce tissage élaboré de voix, la polyphonie étant la marque de fabrique romanesque de Nancy Huston, mêle ici de manière tout à fait fluide des dialogues en anglais (traduits en québécois en bas de page), de l’allemand, du portugais, du gaélique parfois, des poèmes du poète William Butler Yeats, présenté avec James Joyce comme un ami de jeunesse du grand-père, « Volontaire » indépendantiste lors de l’insurrection de Pâques en 1916 à Dublin, dont les aspirations à l’écriture seront toujours frustrées et qui finira son existence au Québec, fermier et père de treize enfants.
Parfois, par le biais des rappels à l’ordre du narrateur réalisateur, soucieux, lui aussi, de traduire le récit dans la langue du cinéma et qui ponctue le scénario d’indications de tournage, de propositions de plans…, l’écrivaine ironise sur la tentation d’aller trop loin dans les développements généalogiques, de se perdre dans des digressions narratives.
Parallèlement à des essais d’intervention au ton très personnel (Reflets dans un œil d’homme, 2012) dans lesquels Nancy Huston ne craint pas d’affronter la polémique, la romancière continue dans son œuvre de fiction de tramer serrés les mots métissés de l’exil et des « identités patchwork » faites d’arrachement et de fidélité. Véronique Rossignol